L'œil du jour , Hélé Béji, Elyzad, 2013 (Éd. Maurice Nadeau, 1985) ...,
L'auteure, née à Tunis, agrégée de lettres modernes et professeure de littérature française à Paris revient pour des vacances à Tunis, chez sa grand-mère. A chaque fois, malgré le décalage entre les deux villes, les deux cultures et les deux modes de vie, elle vit avec plaisir ces moments. Elle regarde vivre sa grand-mère, l'écoute lui raconter ses histoires, consciente du fait que lorsqu'elle aura disparu, c'est tout un pan de sa vie à elle qui s'effondrera.
Lorsque Zazy m'a proposé gentiment de me prêter ce livre, vu ce qu'elle en avait dit, je n'ai pu qu'accepter. Et bien m'en a pris. Quel texte ! Bon, je relève quand même des longueurs, mais on les pardonne tellement le bouquin est beau, bourré de poésie, de belles phrases, belles et longues. C'est un livre lent qui s'attarde sur les couleurs et les sensations, sur les paysages et les constructions, sur les lieux et les gens : "Au fond du patio, sur la droite apparaît la soubrette de grand-mère, celle que j'ai envie de surnommer la négresse d'Olympia, car elle semble être la jumelle de la servante d'Olympia peinte par Manet, debout derrière sa maîtresse avec la même éternité que l'autre derrière ma grand-mère, dont la corpulence assez fondue par l'âge se retrouve entière chez la servante, rehaussée par la ferme puissance de la jeunesse, que la couleur noire polit d'un brillant supplémentaire, comme un émail sur les arabesques d'une haute jarre." (p.41) Lorsqu'elle revient à Tunis, l'auteure observe et écrit dans le bureau de son grand-père. Elle écoute aussi les histoires de sa grand-mère et des amis d'icelle. Tous lui racontent le Tunis de son enfance et de la leur, le Tunis qui disparaît au profit d'une ville plus moderne qui perd de son charme à leurs yeux.
C'est un très beau texte qui mérite attention et persévérance, qui se mérite comme on dit parfois. La longueur des phrases, la lenteur du propos, peuvent en rebuter plus d'un, ce qui serait fort dommage, qui pourrait rater un passage tel ce suivant : "Je sens couler sur mon visage, par la fenêtre ouverte de la voiture, un onguent de chaleur, de lumière condensées, une moiteur thérapeutique, et comme nous venons de survoler les vergers les plus beaux de la capitale, je me plais à croire que les effluves d'orangers qui forment leur dernier rideau d'arbres juste avant la piste d'atterrissage parviennent jusqu'ici et me distillent grâce au vent qui balaye le terre-plein les essences florales que je retrouverai dans quelques instants dans la fiasques ventrues habillées de tricot rose, sur l'armoire de ma grand-mère, derrière la crénelure du bois comme une fortification, et dont une autre paire jumelle en laine bleue m'attend aussi sur la commode de ma chambre, formant ensemble une famille de quadruplés." (p.75
Une écriture fine et délicate pour un livre qui ne l'est pas moins, toujours bien présenté chez Elyzad, même dans la collection poche : un soin très particulier pour des livres qu'on aime tenir en mains. Une réédition bien vue d'un livre écrit en 1985.
Merci Zazy