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Rien ne s'oppose à la nuit

Publié le par Yv

Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan, Ed. JC Lattès, 2011

La vie de Lucile fut loin d’être de tout repos. Enfance parisienne dans une famille nombreuse, parents pas vraiment à la norme. Lucile, c’est la mère de Delphine de Vigan, qui, lorsqu’elle est morte a éprouvé le besoin d’écrire sur elle et sur sa famille. "Un matin je me suis levée et j'ai pensé qu'il fallait que j'écrive, dussé-je m'attacher à ma chaise, et que je continue de chercher, même dans la certitude de ne jamais trouver de réponse. Le livre, peut-être, ne serait rien d'autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti." (p.48)

Bruyante, parfois exubérante, cette famille a également son lot de morts, plus ou moins violentes, de non-dits, de jalousies, mais aussi de relations fraternelles.

Nous avons des points communs Delphine de Vigan et moi : nous sommes nés la même année, Madame Yv en fait se prénomme comme elle, nous avons deux enfants (une fille –que nous avons tous deux appelée "ma puce" et un garçon), nous aimons Alain Bashung (le titre de ce livre est tiré d’Osez Joséphine, et j’ai repéré deux allusions à cet interprète p.279, l’une tirée de la même chanson et l’autre de Au pavillon des lauriers, sur l’album Fantaisie militaire). J’ai aussi eu parfois la sensation de reculer dans le temps en lisant son livre : je suis, comme Lucile, issu d’une famille nombreuse (probablement plus "classique" que celle de l’auteure) et les réunions de famille à rallonge autant en terme de durée qu'en terme de nombre de convives, je connais aussi.

D. de Vigan s’attèle donc au roman familial vu par le prisme de sa mère : c’est réussi, loin d’être larmoyant, au contraire, elle sait faire alterner les passages vifs avec d’autres beaucoup plus mélancoliques, des passages durs et violents avec d’autres plus légers et anecdotiques. Son livre n’est pas pesant et pourtant, dedans, il y a du lourd : les secrets de famille, les révélations ou les suspicions des uns et des autres, les antagonismes, les rapprochements, …  "Car les années qui ont suivi ne peuvent se raconter sans les mots drame, alcool, folie, suicide, qui composent notre lexique familial au même titre que les mots fête, grand écart et ski nautique." (p.179)

L’auteure intervient également dans son récit pour écrire ses doutes quant à la réussite de son projet d’écriture, pour dire qu’elle craint le regard des autres membres de sa famille, ses oncles et tantes, sa sœur qui tous ont le leur propre et pourraient s’étonner voire s’offusquer de sa manière de voir et d’écrire les événements. Elle se place presque plus en tant que fille de Lucile qu'en tant qu'écrivain, ses interrogations se croisent, car ces deux points de vue font partie d'elle-même. Elle se réconforte en entendant l’une de ses tantes lui dire qu’elle lira avec plaisir "sa" Lucile, et en engrangeant le soutien indéfectible de sa sœur. 

Du contenu du livre, je ne vous en dirai pas plus, parce que ce serait enlever un des ressorts de lecture et parce qu'il est totalement inrésumable (je doute, là, à l'instant même où je l'écris de la réalité de ce mot "inrésumable", mais bon, au moins, il est "parlant"). Par contre, je peux vous dire que j’ai été totalement absorbé par ce livre (437 pages que je n’ai pas vu passer, c’est suffisamment rare pour moi pour que je le souligne), pas pour le côté voyeur, parce que Delphine de Vigan l’évite très habilement mais pour la construction physique et psychique de sa mère, pour la progression de Lucile, plus forte et incroyable que certains personnages fictionnels (c’est ici, que je me dois de placer intelligemment l’adage : "la réalité dépasse la fiction.") Très bien écrit et totalement maîtrisé ce roman (roman et non récit puisqu’il est forcément subjectif, déformé, vu par les yeux de l’auteure). Delphine de Vigan a une plume alerte, travaillée qui retient son lecteur. J’avais déjà eu la même sensation avec No et moi : j’avais bien aimé, même si je trouvais les deux jeunes filles peu crédibles. A la lumière de ce livre et de la vie de Lucile, je m’aperçois qu’elles ne l’étaient peut-être pas tant que cela.

Livre sélectionné pour le Prix du roman France Télévision 2011. Et qui, dernière nouvelle vient de l'obtenir, juste devant mon autre préféré, Sorj Chalandon. 

Très belle journée à Paris, dans les locaux de la télévision pour nos délibérations, très belles rencontres, notamment avec les autres jurés et avec les auteurs. Merci Katia d'avoir tout bien organisé.

Lu aussi par : Leiloona, Clara, Canel, Mango, Sylvie

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C
Coucou ! cela fait un moment que je n'étais pas venu faire un petit commentaire, votre commentaire m'attire je vais le mettre dans ma liste. Je vous écrit pour vous dire aussi que j'ai donné<br /> l'adresse de votre blog à Sorj CHALANDON que j'ai rencontré au salon du livre de mon village, j'avais même pas réalisé que c'était le frère d'un adjoint à la mairie, le contact a été facile (j'y<br /> suis allée à l'ouverture de bon matin plus tranquille) j'ai pu causer avec lui en lui précisant que je n'avais lu aucun de ses livres, il m'a expliqué qu'il fallait que je commence par "Mon<br /> traître" avant son dernier (je l'ai commencé je suis en plein dedans impressionnant) j'ai de la chance il est en poche super, il est très sympathique et y cause bien la France (je rigole). J'ai<br /> rencontré aussi Alexis Jenny ouais pas mal l'histoire dans l'histoire. Et j'ai trouvé un livre Rigolo "L'à peu près des rêves" trop drôle c'est de Franckie Charras il est pareil que c'est livre, je<br /> lui ai parlé de vous aussi il m'a dit qu'il irait voir alors !!! à voir !!! bonne pub j'espère pour vous !! voilà M'sieur ! A+
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Y
<br /> <br /> Ça fait un moment effectivement que je ne vous lisais plus, je me disais que ma plus fidèle lectrice et commentatrice m'avait déserté. Mais à mon grand plaisir, je vois que non et je salue votre<br /> retour.<br /> <br /> <br /> j'ai pu discuter un peu avec Sorj Chalandon (mais nous étions nombreux et je n'ai pas osé placer mon blog) et j'ai beaucoup aimé sa simplicité et son abord très sympathique, sa convivialité comme<br /> on dirait maintenant. Pour le livre de Frankie Charras, je note et Noêl approchant, je vais le mettre sur ma liste !<br /> <br /> <br /> Merci beaucoup pour la pub, je vous en sais gré et si après j'ai les passages des écrivains, je vais me la péter à donf !<br /> <br /> <br /> <br />
Z
Je pense que je le lirai en même temps qu'un plus léger !!
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Y
<br /> <br /> Tu as raison, c'est sûrement la bonne méthode : alterner les lectures.<br /> <br /> <br /> <br />
Z
Il me faisait de l'oeil à la bibliothèque.... je l'ai pris, mais je redoute de le lire. Non pas rapport aux louanges délivrées à l'unanimité, mais j'ai peur du contenu....
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Y
<br /> <br /> C'est sûr que le contenu peut être dérangeant pour certains lecteurs ou lectrices. mais la qualité est là et il serait dommage de passer à côté<br /> <br /> <br /> <br />
I
<br /> Il vient d'atteindre le haut de ma PAL. Je suis assez impatiente car j'avais eu un gros coup de coeur pour les heures souterraines et un petit coup de coeur pour No et Moi.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Tu ne devrais alors pas être déçue : j'avais plutôt apprécié No et moi avec des réserves ; pour ce dernier livre, aucune réserve !<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Je n'ai pas résisté aux nombreux avis élogieux lus ici ou là, je me le suis offert ! ;-) Merci d'enfoncer le clou !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> C'est juste pour justifier ton achat. Aucun regret tu n'auras !<br /> <br /> <br /> <br />
Y
<br /> Toujours pas envie d'en savoir polus sur la mère de Delphine de Vigan, assez à faire avec la mienne :-) non sans blague, la vie privée des autres ne m'intéresse pas, sauf s'il savent en faire un<br /> matériau littéraire, et je ne suis pas sûre que ce soit le cas de Delphine de Vigan.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Et pourtant, c'est plus que le simple roman de la vie de Lucile, c'est aussi toutes les interrogations de l'auteure devant la tâche à accomplir, devant sa subjectivité et devant son travail perçu<br /> par les autres memebres de la famille. En cela, je pense que c'est un matériau littéraire.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> je vais le lire bientôt....<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Et bien bonne lecture<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> je ne savais pas que ce livre avait obtenu le prix france télévision. C'est grandement mérité. Par contre, de mon côté, j'ai été très éprouvé par la lecture de ce livre. Je pense avoir plus de<br /> point commun avec Lucile (en moindres proportions heureusement, alors cette lecture a été relativement dure, surtout, bien sûr dans la 2ème partie. Mais quel livre, quel talent !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> J'ai la chance de faire aprtie d'une famille a priori plus stable et n'ai point ressenti ce trouble ou l'épreuve dont tu parles et dont beaucoup parlent en lisant. Mais c'est vrai que malgré<br /> tout, ce n'est pas une lecture reposante<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> c'est justement ce que j'expliquais dans mon post. ....Mais, ironie de l'histoire, la technique m'a trahie! !!!!<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Ah dommage, j'aurais bien voulu avoir cet argumentaire, totalement subjectif donc<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> pour ce qui est de la seule fois où l'auteur appelle Lucille Maman, je l'ai plutôt ressenti comme l'illustration de ce proverbe/maxime : "on ne rend compte de la valeur des choses qu'une fois qu'on<br /> les a perdues."<br /> <br /> pour ce qui est de "Rettour à Killybegs" j'avais envoyé un post incendiaire sur ce livre qui me hérisse sans l'avoir lu mais ....... hasard, coïncidence, erreur de manipulation, mon commentaire<br /> s'est perdu quelque part sur mon smartphone ..... et comme j'avais déversé tout mon fiel ... il ne m'en reste plus assez pour tout recommencer ....... j'attends que le niveau remonte et ... je<br /> reviendrai !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Mais pourquoi veux-tu dire du mal d'un livre que tu n'as pas lu ? Et en plus il est excellent ce bouquin !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Ce livre a été plus qu'un coup de cœur ! Un livre qui relate l'histoire familiale mais également le travail d'écriture. Delphine de Vigan a su joindre les deux dans ce livre avec sensibilité et<br /> intelligence. J'ai été happée, bouleversée et admirative de ce résultat !<br /> <br /> Pour répondre à Laeti (commentaire précédent), j'avais remarqué aussi que Delphine de Vigan n'employait pas le terme de "maman". Je pense qu'il s'agit d'une question de distance, non pas envers sa<br /> mère, mais vis vis à des faits pour les raconter le plus justement.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Un livre réussi qui ne laisse pas indifférent ; il y a sûrment pas mal d'explications à l'utilisation du prénom plutôt que "maman", mais je pense comme toi, que cela a permis à l'auteure de<br /> prendre un peu de distance, d'^ter un peu plus objective, même si elle ne l'est pas et le dit tout au long de son livre.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Moi aussi, j'ai beaucoup aimé cette lecture! par contre j'ai été choquée par le fait que dans tout le livre Delphine n'appelle qu'une seule fois sa mère "maman".<br /> Concernant ton article précédent (Le petit sauvage) pourquoi ne peut on pas laisser de commentaire?<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Les relations qu'elles ont entretenu ont toujours été un peu difficiles et puis, elle a voulu écrire le roman de sa mère, en faire le personnage, indépendamment d'elle. Enfin, ce ne sont que des<br /> hypothèses<br /> <br /> <br /> Pour l'article de Jardin, c'était juste une erreur de case non cochée, mais c'est réparé !<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Je n'avais pas vraiment, à priori, envie de le lire mais devant tant de louanges unanimes, je me dis qu'il ne faut sûrement pas passer à côté !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Ça devrait sortir en poche vu le succès.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Je le lirai, sans urgence, quand il sera disponible à la bibliothèque.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> On peut prendre son temps et ne pas se précipiter dessus. Parfois même ça permet d'avoir du recul par rapport à l'effervescence de la sortie<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Ah oui, tu étais juré.<br /> Finalement, ce qui m'intéresserait le plus dans ce livre, c'est (je te cite)<br /> "L’auteure intervient également dans son récit pour écrire ses doutes quant à ..."<br /> donc pas forcément son histoire, mais l'écriture de l'histoire.<br /> On verra donc, si les emprunteurs à la bibli relâchent leur otage...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> C'est effectivement ce qui est le plus intéressant : voir comment naît l'idée ou même dans ce cas l'obligation d'écrire sur un tel sujet et les doutes, les questions, les éventuelles pressions<br /> des autres membres de la famille...<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Pas de fausses notes pour ce roman pour le moment.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Aucune, hier, lors des délibérations, il est toujours sorti premier des votes et a fait la quasi unanimité même parmi ceux n'ayant pas voté pour lui.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Merci donc pour cette critique pp (post-prix). Je songe finalement le mettre sur ma longue liste.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Assez différent de ce que tu lis d'après ce que je peux en voir, mais vraiment réussi<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> C'est dit : de Vigan a réconcilié ce (ceux) que Vann avait brouillé (s). Je partage ton enthousiasme et même plus : le meilleur livre que j'ai lu en cette rentrée (avec SCintillation et<br /> Desolations. ..) j'avais beacoup aimé "les heures souterraines egalement)<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Ouf, me voilà rassuré, j'avais peur que nous ne soyions fâchés à jamais. A part Désolations (mais c'est qu'il insiste en plus), je te suis sur ta liste et je mettrai en plus Retour à Killybegs de<br /> Sorj Chalandon.<br /> <br /> <br /> <br />