Monsieur le Commandant
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Monsieur le Commandant, Romain Slocombe, Ed. Nil, 2011
Paul-Jean Husson est académicien. Écrivain reconnu et personnalité qui navigue entre les puissants du pays. Mais PJ Husson est aussi pétainiste, collaborateur, antisémite et partisan de certaines des thèses défendues par les nazis. En septembre 1942, il écrit une lettre au Sturmbannführer H. Schöllenhammer dans laquelle il revient sur le début de la guerre ; mais surtout, il lui raconte, comment il est tombé amoureux de sa belle-fille, la femme de son fils, Ilse, une juive allemande.
Très longue lettre -moi qui ai déjà du mal à écrire une carte postale, je tire mon chapeau (façon de parler puisque je ne porte jamais de couvre-chef) à PJ Husson- dont on se demande bien pourquoi Husson l'écrit. On sent bien qu'il a une demande, mais celle-ci tarde à venir. Romain Slocombe sait ménager le suspense et nous emmène doucement vers l'épilogue formidable. Le lecteur est dans ce livre une sorte de voyeur, comme s'il lisait par dessus l'épaule de PJ Husson. C'est à la fois curieux, gênant et jouissif. Sentiment étrange que d'entrer dans les réflexions, dans la vie intime d'un grand homme reconnu et apprécié. Mais surtout cette lecture est dérangeante, parce que l'auteur ne nous épargne ni les pensées, ni les écrits ni les déclarations de cet homme convaincu du bien fondé de la collaboration active avec les nazis :
"La Nation Française, gangrenée par l'individualisme corrupteur né de l'absurde théorie républicaine des droits de l'homme, me paraissait plongée dans une ahurissante apathie. L'anarchie démocratique, dénoncée avec lucidité par Charles Maurras, nous livrait aux quatre fléaux : juif, protestant, métèque et franc-maçon. [...] 1936 apporta à mon vieux pays gallo-romain l'humiliation d'être gouverné par un Juif : Léon Blum -subtil comme un talmudiste, perfide comme un scorpion, rancunier comme un eunuque et haineux comme une vipère-, cet étranger mâtiné de Bulgare, d'Allemand et de youtre, ce prophète de l'erreur, ce Machiavel à la triste figure s'incrusta à la tête de la France. A Paris, la radio prit l'accent yiddish. Accourus du fond des ghettos d'Orient à l'annonce de la victoire raciale, les nez courbes et les cheveux crépus se mirent à abonder singulièrement." (p.38/39/40)
Lire ce genre de propos qui émaillent cette lettre (l'auteur cite aussi des extraits de textes d'autres auteurs ou journalistes de l'époque, tout aussi terrifiants) n'est pas chose facile et légère. C'est une des raisons qui me poussent à écrire que ce livre est dérangeant. Mais passionnant ! Passionnant parce qu'il est d'abord extrêmement bien écrit. Ensuite, parce que R. Slocombe situe son texte dans la réalité, en donnant à son personnage académicien, des relations avec des gens ayant réellement existé, en citant des textes réels de journaux de l'époque. Procédé connu, certes, qui consiste à placer son personnage fictif au sein même de l'Histoire, mais qui me ravit toujours lorsque la greffe prend. Passionnant aussi parce qu'il fait de son personnage principal un type profondément détestable par les théories qu'il défend, qu'il crie haut et fort, mais il n'est pas que cela : il est aussi un homme amoureux, malheureux parce que l'objet de son désir est d'une part inatteignable (puisque la femme de son fils) et d'autre part il fait partie du peuple qu'il hait et méprise : les juifs. Il est très ambigu cet homme : capable de dire des mots terribles, d'avoir des phrases intolérables et impardonnables sur les juifs, les étrangers et dans le même temps, capable de faire l'impossible pour sauver sa belle-fille et sa petite fille.
J'ai avancé dans ce livre, de plus en plus perturbé, notamment dans la première partie dans laquelle l'académicien raconte les premières années de la guerre. Il s'interroge sur son ambiguïté, il se questionne, trouve des réponses, continue d'aimer follement Ilse sans jamais remettre en cause ses convictions profondes. La seconde partie est plus active, plus rapide puisque le dénouement approche.
Il me semble que si la littérature doit permettre de passer de bons moments avec des personnages et des situations divers, elle doit aussi interroger, déranger (et elle a encore probablement d'autres missions). Rien n'est plus triste qu'un livre dont le lecteur sort en se disant : "ouais, bof !" Romain Slocombe évite très largement l'écueil et rassemble ces deux parties de la littérature. N'hésitez pas, foncez ! J'hésite à parler de chef d'oeuvre, tellement nous sommes assaillis de termes plus louangeurs les uns que les autres ou de superlatifs dans les médias pour tout et rien ; je peux au moins vous parler de coup de cœur littéraire, car c'en est un !
Merci à la Librairie Dialogues.
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