Les talons hauts rapprochent les filles du ciel

Les talons hauts rapprochent les filles du ciel, Olivier Gay, Éd. Le masque, 2012
Fitz, diminutif de John-Fitzgerald, est un clubbeur. Un des ces garçons qui ne vit que par et pour les soirées dans les lieux les plus branchés de Paris. C'est aussi un dealer. Petits bras. Il ne deale que ce qui lui est nécessaire pour vivre selon ses envies : boire, payer le loyer de son petit studio près des Champs-Élysées, et draguer, domaine dans lequel il excelle. Chaque soir, une nouvelle conquête passe dans son lit ou dans un autre, mais toujours avec lui. Jessica, son ex, la seule avec laquelle il ait vécu longtemps, accessoirement commissaire de police chargée de l'enquête sur le tueur en série qui agresse, torture, découpe et tue des jeunes filles adeptes de la nuit parisienne le convoque un jour pour lui demander de collecter des renseignements dans ce milieu qu'il connaît parfaitement. Pour Fitz, c'est l'entrée dans un monde qu'il n'imaginait pas du tout et pour lequel il n'est pas taillé : celui des enquêteurs !
Pas mal du tout ce polar. Alors, certes, l'intrigue est assez linéaire, sans vraiment de rebondissements ni de surprise, même si elle n'est pas totalement dénuée d'intérêt, le livre a plus d'un atout en son sein.
D'abord, il se déroule dans le monde des clubbeurs, des jet-setteurs, bien décrit -enfin, ça, c'est ce que je pense, puisque, personnellement, je n'y connais rien. Et ensuite, Olivier Gay fait montre d'un réel talent d'écriture : humour, détachement, personnages à la fois sympathiques et antipathiques. Fitz est un glandeur, un mec qui n'a aucune ambition et qui ne veut pas travailler. C'est un parasite. Totalement inadapté à la "vraie" vie et a fortiori à celle des flics, il découvre ses limites au fur et à mesure de son aventure. "Je restai un instant prostré sur mon futon. C'était donc ainsi qu'elle me voyait. Un dragueur, un charmeur, mais aussi un loser sans avenir." (p.226) Dans le même temps, il n'est pas dupe du monde dans lequel il évolue ; il sait que les relations qu'il entretient ne tiennent qu'à la coke qu'il vend, à petit prix et régulièrement. Qu'il stoppe son commerce et ses amis lui tournent le dos. "Ici, les prédateurs se voulaient sexuels. De belles filles à l'argent hésitant souriaient à des héritiers, des footballeurs, des stars des médias aux dents ultrabrite. Si j'avais voulu verser dans le cynisme, j'aurais pu dire qu'on voyait ici la prostitution dans sa forme la plus moderne, la beauté et la jeunesse agitées comme un hochet devant de grands enfants prêts à tout dépenser pour satisfaire leurs fantasmes. (...) Et puis du sexe, du sexe mou et gluant, du sexe humide comme la pluie qui me coulait encore dans la nuque, du sexe alcoolisé dans lequel toute dignité disparaissait au profit d'une étreinte bestiale. (p.63/64)
D'aucun pourront dire que ce roman policier n'est point réaliste. Sans doute : un clubbeur-enquêteur, ça ne fait pas sérieux. Mais il est plaisant et récréatif, original par le personnage principal et le monde dans lequel il évolue. Bon, certes, il y a un énième tueur en série, modèle à la mode des polars actuels, mais bon, il est pardonné à l'auteur.
Très sympa ce polar donc, très loin des standards habituels qui décrivent par le menu les supplices des victimes. Ici, malgré le calvaire qu'elles subissent -certes dit-, le sang ne coule pas, l'horreur n'est pas à toutes les pages. Merci Olivier Gay de nous épargner des descriptions insoutenables et de préserver vos lecteurs. Idéal pour ces vacances ou pour d'autres, ou pour des occasions différentes. Enfin, idéal, tout court !