Les joyeuses
Les joyeuses, Michel Quint, Ed. Folio 2010 (première éd. Stock, 2009)
Un metteur en scène de théâtre sur le déclin revient dans le village de son enfance, à l'invitation de la propriétaire d'un domaine viticole (Vacqueyras, Gigondas, Sablet) pour y monter Les joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare. Là, il trouvera des comédiens amateurs, dont Rico, fils du responsable des ventes du domaine, pour compléter les acteurs professionnels, mais plus vraiment en haut de l'affiche qu'il amène avec lui. Ce responsable des ventes du domaine est aussi un ancien ami du metteur en scène, jadis tous deux rivaux dans le coeur de celle qui est devenue la propriétaire du domaine. Bon vivant, aimant le vin et les femmes, Jean-Pierre Bernier, le metteur en scène va mener tout ce petit monde à son rythme de buveur et de coureur de jupons.
Le narrateur est Rico, jeune homme de 20 ans, handicapé par un bégaiement qui jusque là l'a empêché d'aller vers les filles. Cet été-là, il remarque que boire et atteindre un certain niveau d'ébriété lui délie la langue. Il passera toute la saison dans cet état, d'abord pour pouvoir jouer dans la pièce et ensuite pour se rapprocher des filles et des femmes présentes, toutes aussi désirables les unes que les autres.
Sous l'impulsion de Jean-Pierre Bernier, tous vont se parler, se révéler, les uns hâbleurs, les autres timides, et pour certains totalement différents de ce qu'ils pensaient être.
Truculent, dionysiaque, ce livre est d'une part un éloge du théâtre, et d'autre part, un hymne à la vie et à tous ses plaisirs. Ça baguenaude, ça drague, ça apprend son texte, ça batifole, ça répète, ça s'embrasse, ça se touche, ...
Je n'avais lu jusqu'ici de Michel Quint qu'Effroyable jardin, dont je n'ai pas gardé souvenir de lecture, puisque j'avais vu le très beau film avant et que le film a phagocyté le livre. Là, je répare donc cette inculture et je tombe dans une écriture formidable, totalement libre et maîtrisée. J'aime beaucoup les phrases de M. Quint dans lesquelles la ponctuation prend tout son sens : faire une pose après la virgule, bien faire attention aux accords des adjectifs pour bien comprendre les subtilités de sa langue. Voici un extrait assez représentatif du livre : "Ce jour-là, j'ai été ivre très tôt. Et chaque soir suivant, flacon après flacon, je pénétrais plus loin dans mes excès, mes explorations de la parole et du monde, je me sentais à ma taille véritable, conforme aux constellations régissant mon destin, l'égal de ces comédiens burinés de mille vies, de ces femmes dorées, le livre universel à moi seul, je suivais Shakespeare et Marlowe au long des docks de Londres, je me préparais aux servantes à tétons magnifiques, aux rixes de bouge et à la mort qui vient tôt. Ce qu'il me fallait c'était de l'hypocras à boire avec Richard III, du gros, de la vinasse à poilus versée par Cendrars, le pinard des soudards de Hugo, du rouge sombre, sang-de-bœuf ! J'aurais bouffé cru mes compagnons de ripaillerie, ribaudé les dames. Et toutes ces démesures je les hurlais, j'emmerdais tout le monde." (p.104/105)
Voilà, tout le livre est écrit comme cela, de la belle langue française avec parfois des mots désuets ou plus guère usités, qui donnent au roman de Michel Quint un charme et une élégance fous, et de la joie de vivre : on ressort de cette lecture joyeux.
Mille mercis à B.O.B et à Folio pour ce partenariat.