Les affligés
Les affligés, Chris Womersley, Albin Michel, 2012
Flint, petite ville d'Australie, en 1919, est, comme beaucoup de villes du pays, ravagée par l'épidémie de fièvre espagnole. Quinn Walker revient chez lui, après s'en être enfui une dizaine d'années plus tôt. Il avait été accusé du viol et du meurtre de sa petite sœur Sarah, dont il est innocent. Après avoir fait la guerre en France, il remet les pieds dans son pays, gueule cassée, bien décidé à faire payer le ou les vrais coupables du meurtre de Sarah. Il se cache dans les forêts et les collines, car tout les habitants le croient coupable et reçoit bientôt une aide inattendue, celle de Sadie, jeune fille mystérieuse, au courant de toutes les rumeurs, débrouillarde et qui attend le retour de son frère parti lui aussi à la guerre.
Je disais dans un billet précédent que j'avais un souci avec la littérature australienne. Eh bien, en un seul livre, me voici réconcilié avec elle ! Quel roman, mes amis ! Encensé par la presse australienne, à juste titre. Le contexte est fort, très fort : retour de la guerre qui s'est déroulée sur un continent quasiment inconnu des Australiens au début du siècle dernier, les conséquences de cette guerre sur les hommes qui y ont participé et sur les femmes restées seules et pour beaucoup veuves, la grippe espagnole, un meurtre horrible et une vengeance prévisible. Voilà pour les ingrédients. Mélanger le tout et vous obtenez ce roman qui une fois commencé ne se lâche plus jusqu'au bout.
L'écriture est très accessible, qui dit les choses directement, ne tourne pas autour du pot pour raconter les horreurs de la guerre : "Le sol qui s'ouvre, un soldat sodomisant un cadavre au crépuscule, un char embourbé, le silence après les tirs de barrage, tandis que les nations comptent leurs morts. De cela, il était impossible de parler. Impossible, car on l'aurait traité de menteur : nul ne souhaitait vraiment savoir de quoi est capable l'être humain." (p.63). Elle dit aussi le difficile retour à la vie quotidienne, à la terre et à l'amour des siens restés loin du conflit. La guerre, ses stigmates, visibles ou non hantent les survivants : "Quinn se rappela avoir vu ça à l'hôpital. Des "gueules cassées", ces malheureux enveloppés de bandelettes qu'on véhiculait sur des brancards, à travers les couloirs. Les amputés et les muets. Les salles d'hôpital étaient tenues dans une semi-pénombre, mais il sentait leurs regards suppliants quand il passait. On disait que des médecins peaufinaient des masques métalliques sur lesquels étaient moulés et peints ce qui avait été soufflé par les explosions -yeux, nez, menton, joues, oreilles- et c'était ahurissant d'imaginer ces hommes devenant des simulacres de ces mêmes machines qui les avaient mutilés." (p.229/230)
Il est toujours difficile de dire dans une traduction ce qui tient de l'oeuvre originale ou du traducteur (en l’occurrence, une traductrice, Valérie Malfoy) en ce qui concerne le style : disons que c'est un travail -et ici très beau travail- en commun.
C'est évidemment un roman sombre qui parle de tout ce que j'ai déjà dit plus haut : de la vengeance, de la misère et de la difficulté de vivre dans ce pays. En plus, Quinn ne peut véritablement renouer avec ses parents qui le croient coupable du crime : il réussit néanmoins à voir sa mère alitée, victime de l'épidémie, mais de manière frustrante, puisqu'elle est en fin de vie. Mais ce bouquin a aussi de grandes parts lumineuses, parlant d'espoir, d'amour, de rédemption. Sadie représente la part d'espoir de Quinn une sorte de sœur de "rattrapage", celle qui comme Sarah aurait pu le faire, le sortira peut-être de sa colère, de sa torpeur et de ses souvenirs terribles.
Il y a beaucoup de littérature sur cette guerre et ces effets dévastateurs. Ce roman en parle, sans éviter ce qu'on pourrait appeler les passages obligés, les stéréotypes, mais en y apportant une touche d'exotisme propre au pays, liée aussi à l'esprit de vengeance et de rétablissement de la vérité qui anime Quinn. Et il ajoute une énorme touche d'humanité et d'espoir qui ne rend pas sa lecture pesante, au contraire.
Précipitez-vous sur ce roman, invité par le Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo qui fête cette année la littérature australienne (du 26 au 28 mai).
Merci Aliénor pour ce subtil conseil. Mélopée est aussi enthousiaste que moi -voire plus encore, si si c'est possible ! Et Clara, tout pareil.