Le pays de l'absence
Le pays de l'absence, Christine Orban, Albin Michel, 2011
"Et si un jour nous devenions les parents de nos parents ? Si irrémédiablement, les rôles s'inversaient avec le temps ?" (4ème de couverture). La narratrice, une écrivain(e) parisienne, reçoit pour Noël sa mère qui arrive de Casablanca. Celle-ci, depuis quelques temps, perd un peu la tête. Elle oublie ce qu'elle fait, elle se perd dans la rue, dans l'appartement et développe des phobies nouvelles.
Confrontée à la maladie de sa mère, c'est le moment pour la narratrice de faire un bilan, de raconter son enfance. De raconter sa mère, pas aimante pour elle, mais très aimante pour sa petite sœur. De dire les conséquences de ce manque d'amour maternel : "Tu as toujours été cette mère-enfant qui me racontait ses frasques qui me gênaient. [...]
Comment être mère quand on a pas été enfant ?
J'ai résisté longtemps. Je ne pouvais donner la vie alors que je n'étais pas finie. Une mère doit aider à devenir adulte, je ne suis pas une adulte parce que je n'ai jamais été une enfant. Insouciante : longtemps, je n'ai pu écrire ce mot. Il ne me va pas ce mot, il ne me convient pas. Le principal danger à éviter était d'être mère de filles ; les mères font souffrir leurs filles." (p.38)
Heureusement pour elle, la narratrice donnera naissance à des garçons, évitant donc de reproduire le comportement de sa mère.
Alternant la description à la troisième personne du singulier et les propos directement adressés à la mère à la seconde personne du même singulier, Christine Orban va droit au but. Elle décrit les gestes qu'elle doit faire pour sa mère : l'aider à s'habiller, l'accompagner dans les escaliers car elle a peur de l'ascenseur, lui rappeler sans cesse les consignes, et surtout répondre à ses questions répétitives. Au fil de la narration, on découvre la vie de cette femme, son absence de sentiment maternel vis-à-vis de sa fille, qui aujourd'hui la recueille. Cette fille, qui, pour se sauver décidera de venir en France étudier et écrire. Cette fuite ne lui évitera cependant pas les affres de la souffrance, de la mélancolie, de la déprime. A cette mère non-aimante ou mal-aimante, elle dira tout ce qu'elle a enduré, mais silencieusement, sans que la principale intéressée ne l'entende. Et d'ailleurs, la maladie l'empêcherait probablement de comprendre les reproches. Alors, la fille continue de s'occuper de sa mère, de "prendre sur elle" pour être aux petits soins, de se mettre en quatre pour lui faciliter la vie et pour lui être agréable, comme si elle voulait se faire pardonner ses pensées accusatrices.
J'ai ressenti quelques longueurs dans le texte, en cours de lecture, et puis, en y réfléchissant, j'ai pensé qu'il collait au rythme que la mère impose à sa fille : la prise en charge quotidienne d'une malade d'Alzheimer. Cette maladie n'est d'ailleurs étrangement nommée qu'une seule fois dans le livre et encore dans une phrase interrogative : "Alzheimer, est-ce le nom que le professeur Dubois n'a pas osé prononcer devant moi ? Est-ce le nom de cette maladie qui déconnecte le cerveau d'une personne ?" (p.97/98) La maladie non nommée, comme si les deux femmes ne voulaient pas voir la réalité en face. Comme si elles ne voulaient pas lutter contre l'inéluctable. Comme si affronter la réalité de la vie et de la mort annoncée leur était insurmontable.
J'aime beaucoup le genre de romans intimistes qui racontent les rapports enfants/parents, les relations familiales, à la seule condition d'une certaine qualité littéraire. Très peu pour moi, les livres "vécus", les histoires trash et autres confessions de pseudo-vedettes. Dans le genre que j'aime, je peux citer Annie Ernaux, Charles Juliet, John Burnside entre autres. Pour le premier livre de Christine Orban que je lis -oui, je sais, je ne suis pas très au fait des écrivains contemporains très connus !-, je trouve qu'elle peut entrer dans cette galerie plutôt prestigieuse.
Merci à Gilles Paris pour l'envoi de ce livre qui sort aujourd'hui même.