La servante et le catcheur
La servante et le catcheur, Horacio Castellanos Moya, Métailié, 2012 (traduit pas René Solis)
Le Viking est un ancien catcheur reconverti en flic. Sous la Junte Militaire qui gouverne le pays, il est plus souvent confronté aux basses œuvres du régime qu'à enquêter sur des crimes. Vieillissant, très malade on ne l'emploie quasiment plus, le laissant dans les bureaux, sauf pour sa prochaine mission : enlever un jeune couple de subversifs et les transférer au Palais Noir, siège de la répression.
Maria Elena est une servante, qui après avoir officié chez les grands parents doit ce matin-là commencer à faire le ménage chez les petits-enfants tout juste rentrés au pays. Sauf que la maison est vide. Inquiète, elle apprend que le couple a disparu. Se rappelant que jadis, le Viking l'a ouvertement courtisée, elle va le voir pour en savoir plus sur le sort de ses patrons.
Horacio Castellanos Moya, après avoir publié chez Les Allusifs (notamment les très bons Le bal des vipères et Effondrement) arrive chez Métailié, deux maisons d'édition que j'aime beaucoup. Pour le meilleur, car sans tarder et sans laisser de suspense, je peux vous dire que ce bouquin est excellent.
L'auteur se glisse dans la peau de personnages diversement placés au sein de la société salvadorienne pendant la dictature de la Junte Militaire. D'abord un bourreau, le Viking, qui même s'il ne fait qu'exécuter les ordres fait partie d'une équipe dans laquelle certains torturent, tuent, violent avec un plaisir plus qu'évident. Et il est mal en point Viking, comme son pays :
"Il [Viking] a peur d'être mis en congé d'office, renvoyé chez lui.
- T'es vraiment trop con, Viking, lui dit le Chicharron en redémarrant. Tout le monde sait que tu es en train de crever.
Il voudrait chercher un chiffon sous le siège pour essuyer le pistolet, mais il reste là, affaibli, incapable du moindre geste ; rien que la nausée, la fièvre, la brûlure au fer rouge dans le ventre, et à nouveau cette bave pourrie dans la bouche." (p.43)
Ensuite, Maria Elena qui en citoyenne trop occupée à survivre ne peut s'intéresser à la vie politique du pays, même si elle souhaite plus de justice, d'égalité et l'arrêt des violences. Elle écoute régulièrement les homélies de l'archevêque Romero (personnage réel) qui s'oppose à toutes les violences tant du pouvoir que des opposants. Autour d'eux gravitent des exécutants, des durs, des couards, des révolutionnaires aguerris, des ambitieux, des fous à lier, de vrais criminels, ... Tout ce qui forme la population d'un pays sous la dictature. Horacio Castellanos Moya sans décrire au plus près les tortures et les scènes de violence, les relate. Elles sont bien présentes et rythment le livre, comme de nos jours les attentats et les combats dans de nombreux pays s'imposent dans l'actualité. La grosse différence, c'est que nous ne faisons que les voir alors que ceux qui vivent dans ces pays les subissent jours et nuits.
H. Castellanos Moya n'entre pas à proprement parler dans une critique du régime en place. Il parle des violences de part et d'autre. Bien sûr la terreur policière et la violence d'État sont insupportables, et ce sont elles qui génèrent l'opposition, mais tenter de renverser le régime en imposant également une guérilla, des attentats pousse parfois ces acteurs à des actes terribles. Sans prendre position, même si la sympathie va forcément aux plus faibles, à ceux qui se défendent, il dit qu'être d'un côté ou de l'autre n'est pas nécessairement un choix. Son roman n'est pas manichéen (et son sujet n'est pas la critique d'un régime militaire), il s'intéresse aux petites gens, à ceux qui à un moment sont dans tel ou tel camp ou dans aucun, entre les deux, grâce ou à cause des hasards de la vie, de la volonté de s'en sortir, d'offrir aux siens une vie plus belle. Loin des Palais et des lieux de décision, il s'intéresse à ceux qui subissent de plein fouet et quotidiennement l'autorité et la violence des uns et des autres.
J'espère de tout cœur vous avoir donné envie de découvrir ce roman excellent, formidable. Un coup de cœur pour moi. Décidément, plus je la découvre et plus je trouve que la littérature sud-américaine recèle de véritables trésors.
Merci Valérie.