L'autobus
L'autobus, Eugenia Almeida, Métailié, 2012 (réédition : paru en 2007. Traduit par René Solis)
Un petit village d'Amérique du sud. Tout est paisible, trop même ; il ne s'y passe jamais rien. Un vague voyageur de commerce de temps en temps avec une femme qui n'est pas la sienne pour attiser les discussions. Mais depuis deux ou trois jours, l'autobus qui relie ce village aux villes passe mais ne s'arrête plus, au grand dam de Ponce, l'avocat qui veut y faire monter sa jeune sœur Victoria pour qu'elle retourne chez elle, à la ville. De même, la barrière du passage à niveau a été descendue et n'est pas remontée, isolant ainsi totalement le village. Les habitants se posent des questions.
Tout petit roman de 127 pages qui ne paie pas de mine et qui est loin d'être anodin. Grâce à son écriture sèche, directe et sans fioriture, Eugenia Almeida va droit au but et raconte la vie dans un pays au gouvernement autoritaire et surtout dans les petits villages reculés, ceux dans lesquels les gens ne sont à la pointe ni de l'information ni de la contestation. Ils subissent les différents régimes, les lois strictes parce que leur premier souci est de manger à leur faim et de nourrir leur famille.
L'isolement du village permet à l'auteure de revenir en arrière et de raconter la vie des ses principaux personnages : notamment celle de Ponce, l'avocat ; de dire comment il se retrouve là, dans le village le plus reculé du pays alors qu'il était promis à un avenir brillant. "Ils arrivèrent au village par une matinée terreuse. Les maisons semblaient incrustées dans un puits. Pourtant, quand on regardait tout autour, il n'y avait que la plaine, pas une ondulation, pas une colline, le plat à perte de vue. Ponce se sentit réconforté par l'aridité du lieu." (p.51)
Les rapports entre les différents personnages sont bien étudiés : les riches d'un côté du village et les pauvres de l'autre. Le seul qui fasse différemment, Ponce, est assis entre deux chaises et s'il peut se prévaloir d'un certain respect des petites gens, il peut se perdre d'un rien. Un mauvais geste, une attitude hautaine ou ridicule et voilà que le respect disparaît. Les intervenants sont assez typiques mais pas caricaturaux, entre le cafetier et les commerçants qui papotent et colportent les ragots, les rumeurs, le flic qui obéit aux ordres prudemment, sans demander d'explication et les "touristes" profitant des bienfaits du soleil et de l'hôtel en attendant l'autobus.
Le village également est très présent, le climat aussi, que l'auteure décrit avec peu de mots : "La journée s'écoule, écrasante et désolée, la chaleur et la poussière se déposent sur les os. Les rares qui sortent dans la rue cherchent l'ombre." (p.106)
On se laisse facilement prendre à ce petit livre qui, par sa forme et par l'histoire qu'il raconte m'a rappelé des romans sud-américains traitant des mêmes thèmes. Il doit y avoir une sorte de marque de fabrique de très bonne qualité, sans doute les années de dictatures notamment en Argentine, pays dans lequel Eugenia Almeida enseigne la littérature et la communication et écrit.