L'assassin éthique
L'assassin éthique, David Liss, Ed. JC Lattès, 2012
Lem Atlick est un jeune étudiant qui vend des encyclopédies au porte-à-porte pour payer ses futures études à l'université de Columbia. Il arpente les rues d'une bourgade constituée de mobile homes. Un jour qu'il est en train de conclure une vente, un homme entre dans le mobile home et tue le couple acheteur, laissant la vie sauve à Lem pour peu qu'il ne parle pas, sous peine de porter le chapeau. "Je n'étais pas censé me trouver là. J'avais été accepté à la Columbia University, mais mes parents avaient refusé de payer l'inscription. Tout ce que je voulais, c'était gagner de l'argent pour la fac, point final. Rien de tout ça ne me concernait ; j'ai fermé les yeux dans l'espoir que tout allait disparaître. Ça n'a rien changé." (p.34)
Tout est dans le titre : l'assassin est éthique, qui tente d'expliquer ses gestes, qui tente aussi de convertir tous les gens qu'il rencontre au végétarisme voire au végétalisme. Il est empli de pensées et de théories dans beaucoup de domaines. Ceux pré-cités bien sûr, mais aussi les vraies raisons pour lesquelles on met les gens en prison, les violences faites aux animaux, ... A chaque fois qu'il aborde un sujet, l'auteur pose des questions poussant son raisonnement jusqu'aux imites de la raison. On se retrouve donc parfois aux frontières de l'absurde, mais évidemment avant d'en arriver à ce point, le lecteur -moi, en l'occurrence- se pose des questions sur ses propres pratiques, ses propres raisonnements et ses propres pensées. Un peu comme lorsqu'on converse avec des amis et que l'un d'entre eux pousse toujours le bouchon un peu plus loin, pour nous pousser dans nos retranchements, jusqu'au moment ou on l'envoie promener gentiment ou moins élégamment, tout dépend du degré d'intimité et d'amitié.
Il y a des passages dans ce livre qui sont extrêmement drôles ou cyniques voire les deux en même temps, comme lorsque le chef d'équipe des vendeurs expose les techniques de vente ou lorsqu'il explique ce qu'est le "moochie" : "Le moochie, ce sont les jouets en plastique, les carillons éoliens, les décorations de Noël tape-à-l’œil qu'on installe trop tôt et qu'on laisse jusqu'au mois de février, tout ce qui suggère que les gens qui vivent là aiment dépenser de l'argent qu'ils n'ont pas pour des choses dont ils n'ont pas besoin ou dont leurs enfants n'ont pas besoin -voilà à peu près ce qu'est le moochie." (p.16) Ou encore lorsqu'il précise que la cible visée est la catégorie des gens pauvres, car l'encyclopédie peut leur apporter ce qu'ils ne peuvent offrir à leurs enfants : un avenir par la connaissance.
Ce roman noir est aussi une vue désabusée des États-Unis d'Amérique, entre rêve et réalité. Le fameux rêve américain dont on nous rebat les oreilles un peu partout : "Là-bas, tout le monde peut réussir, avec une bonne idée et de la volonté" est un leurre : ce pays charrie un nombre impressionnant de pauvres, de gens qui ne "réussissent" pas, non pas parce qu'ils n'ont pas de volonté ou de courage, mais parce qu'ils n'ont pas la chance d'être au bon endroit, d'avoir un minimum d'argent au départ. "Certains jours, toutes ces personnes m'inspiraient presque de la condescendance. Ces personnes qui m'observaient d'un air vide tandis que je leur servais mon speech appris par cœur, je les méprisais pour leur apathie, que je jugeais responsable de leur condition sordide. Je pensais que c'était cette mollesse qui les avait menés, et mènerait plus tard leurs enfants, à vivre dans un mobile home déglingué. Parce qu'au fond, ils s'en foutaient." (p.248)
Et l'intrigue me direz-vous impatients que vous êtes de savoir si ce livre a toutes les qualités ? Eh, bien, plutôt bien, et surtout David Liss la complique à souhait en rajoutant des faux indices, des intrigues mineures qui embrouillent l'intrigue majeure. Pour le plus grand plaisir du lecteur, qui lui, du fait de la multiplicité des narrateurs en sait plus que Lem et le voit avec plaisir tenter de se dépatouiller de cet imbroglio. Tout s'explique à la fin, à la toute fin pourrais-je même dire.
A me lire vous aurez compris tout le bien que je pense de ce roman qualifié par The Washington Post de "thriller décapant et à mourir de rire sur l'Amérique d'aujourd'hui !". Je n'aurais pas mieux dit. Ils sont forts ces Étasuniens !