Je m'en vais , Jean Echenoz, Editions de Minuit, 1999
Ferrer est galeriste à Paris. Lorsqu'on fait sa connaissance, au début du livre, il dit à Suzanne, sa femme : "Je m'en vais, je te quitte. Je te laisse tout mais je pars." (p.7) On le retrouve ensuite dans sa galerie qui ne marche pas fort, passant de conquête féminine en conquête féminine. Un jour, Delahaye, un homme qui travaille avec lui, l'informe que des objets de grande valeur, rarissimes sont quelque part enfouis dans les glaces du grand nord. Ferrer décide de partir les chercher.
Lorsque j'ai dit cela, on pense que c'est un roman à suspense alors que non. C'est l'histoire d'un homme qui essaie de sortir de l'impasse, qui tente de sauver sa galerie, qui en même temps cherche sans arrêt des femmes dont il ne peut se passer. Pas une grande histoire d'aventures, ni un polar, mais les aventures d'un homme lambda. Ce qui compte, dans ce livre, qui, entre parenthèses, a reçu le Prix Goncourt 1999, c'est le style, l'écriture de Jean Echenoz. Il nous trimballe du début à la fin, il nous impose force détails n'ayant aucune importance pour le déroulement de l'histoire, tous aussi inutiles qu'indispensables pour la qualité et le ton du livre. Par exemple, lorsque Ferrer fait une attaque cardiaque, les pompiers sont appelés :" Les pompiers sont des beaux jeunes hommes calmes, rassurants et musclés, ils sont équipés de tenues bleu marine, d'accessoires en cuir et de mousquetons à leur ceinture. C'est en douceur qu'ils installèrent Ferrer sur une civière, c'est avec précision que la civière s'introduisit dans leur camion." (p.161/162) Le texte est constellé de ces détails qui lui donnent un côté détaché et ironique.
Le livre est écrit à la troisième personne du singulier, Ferrer étant le personnage principal. Parfois, on voit le monde selon Ferrer, mais l'auteur utilise aussi beaucoup le "on", qui s'il déstabilise un peu au départ augmente encore ce que j'appelais plus haut le détachement et l'ironie : on ne sait jamais vraiment si Jean Echenoz a de la sympathie voire de l'empathie pour Ferrer ou s'il se moque de lui. Pour ma part, la moquerie me semble plus présente, c'est du moins de cette manière que j'ai lu ce roman.
Parfois aussi, Jean Echenoz nous prend à témoin, nous lecteurs, par exemple, lorsqu'une jeune femme rejoint Ferrer dans des toilettes "et se mit à vouloir le griffer et le mordre puis, abandonnant toute retenue, le dégrafer tout en s'agenouillant en vue de va savoir quoi, ne fais pas l'innocent, tu sais parfaitement quoi." (p.239) Tellement d'autres écrivains auraient sauté le pas, si je puis m'exprimer ainsi, pour balancer une vulgarité ou pour décrire l'acte, car ça peut faire vendre.
Vous l'aurez compris, j'ai passé un très bon moment avec Ferrer et Jean Echenoz pour ce roman Prix Goncourt 1999 ; Jean Echenoz que j'ai découvert avec Ravel , livre dans lequel il raconte les derniers moments du compositeur, et dont je compte bien continuer de découvrir l'oeuvre.