Incident de personne
Incident de personne, Eric Pessan, Albin Michel, 2010
Un homme, animateur d'atelier d'écriture, prend place à bord d'un train Paris-Nantes. Il veut se reposer, bien qu'il s'en sente incapable, épuisé qu'il est par son travail, sa vie. Sa voisine de voyage, une femme, très attirée par son portable et ses textos à envoyer ne risque pas de le déranger. Et puis, entre Le Mans et Angers, brutalement, le train s'arrête, sans raison apparente. Au bout d'un long moment, le contrôleur du train parle d'un "incident de personne", un suicide sur la voie, qui oblige le train à s’immobiliser un moment. A ce moment, un contact, timide au départ, s'amorce entre l'homme et la femme, celui-ci se lançant dans un récit, alternant des moments de sa vie et des histoires reçues dans ses ateliers d'écriture.
Sombre, bien sombre ce nouveau roman d'Eric Pessan. Son personnage est fatigué, nerveusement, physiquement. C'est un "passager bavard, dépressif, vaguement inquiétant, celui [...] qui vous racontera sa vie, ses malheurs, ses problèmes, vous montrera ses varices et vous détaillera ses flatulences. Et -comble du malheur- votre train est coincé pour des heures." (p.155) Il se raconte à cette femme inconnue, lui qui ne dit jamais rien. Cet "incident de personne" déclenche en lui quelque stimulus le faisant se confier. Il rentre de Nicosie, en Chypre, où il a animé un atelier d'écriture. Là-bas, l'homme qui l'a accueilli, qu'il ne connaissait pas à procédé d'une façon similaire, lui racontant un épisode douloureux de sa vie et se suicidant ensuite. Alors, si le narrateur n'en est pas au suicide à proprement parler, peut-être peut-on parler de "suicide social", lui qui s'isole totalement des siens, de ses amis, des autres en général, au point de perdre également logement et travail.
Eric Pessan construit son roman comme des allers-retours entre le wagon, où les gens s'impatientent, s'énervent, et les histoires glanées lors des ateliers d'écriture que l'homme raconte à sa voisine. Le lien entre toutes ces anecdotes étant lui, l'animateur, le confident, l'avaleur, l'éponge qui les absorbe toutes et ne peut les ressortir, sauf dans ce train. Là où certains pourraient voir une suite illogique et sans but de récits plus ou moins intéressants, je vois un homme qui ne vit que par les autres, qui n'a aucune existence propre que celle de permettre aux gens qu'il accompagne de sortir leurs malheurs. "Pour ma part, je suis sans histoire, je n'ai rien à dire de moi, je n'existerai plus à la descente de ce train [...], vous vous souviendrez vaguement qu'un type bizarre voyageait à vos côtés, un type sans histoire, cousu de récits de vies qui ne sont pas les siennes. Un type qui a accepté de ne pas avoir d'histoire pour se rendre disponible à celle des autres." (p.182)
Ce n'est pas un texte facile, qui ne fait pas dans la gaudriole, mais Eric Pessan sait nous accrocher avec sa langue simple et directe. Le portrait d'un homme en plein questionnement à l'aube de la quarantaine, en questionnement sur lui-même, sur les autres et sur la vie en général. La vie, la mort, les souffrances, les malheurs, l'amour.
Un livre intelligent, par un auteur que j'aime beaucoup, qui nous pousse à la réflexion et qui ne peut laisser indifférent !
D'autres lecteurs : le globe-lecteur, Sylvie, Pimprenelle.
Merci à Joëlle Faure des éditions Albin Michel.