Histoire d'os à Evreux
Histoire d'os à Evreux, Roger Delaporte, Ravet-Anceau, 2012
Momo, collégien, pique des os à l'hôpital d'Evreux, les planque dans son sac et, trop en retard pour les livrer à son commanditaire, file directement au collège. Lors d'une altercation, son sac s'ouvre les os en sortent et subséquemment, le principal du collège, Landier qui revient juste de convalescence se retrouve pris dans une histoire bizarre qui lui fera côtoyer des néo-nazis, un inspecteur de l'Éducation nationale ambitieux, une ancienne élève de ses débuts de prof et son ancien chef de section pendant la guerre d'Algérie. Comme fin de convalescence, on a vu plus tranquille.
Nouveau petit polar des éditions du nord Ravet-Anceau (j'en ai un autre qui attend) : j'aime bien le format de leurs livres qui tiennent bien dans une poche, pas trop gros (168 pages pour celui-ci), des bouquins pratiques si l'on ne parle que de l'objet et pas trop chers (9 €). Venons-en maintenant au contenu.
Pas très facile d'accès ce polar de Roger Delaporte. Tout d'abord, le style déroute, il faut quelques pages pour s'y faire et puis, ensuite, une fois le rythme pris, ça roule, pour le meilleur. Enfin, si l'on excepte la surdose de calembours et des références parfois absconses qui cependant s'éclairent -presque toutes- au fur et à mesure qu'on avance dans les pages. Je disais déroutant plus haut pour le style de l'auteur, parfois elliptique, parfois argotique, d'autres fois plus châtié :
"Il ne va pas bien vite, une appréhension le domine, le freine, des tas de questions se bousculent, dont les réponses ne dépendent pas de lui. Tempête sous le crâne d'un con, ça va exploser pépère. Chaque être humain a sa peur, Landier n'a pas peur de ses supérieurs, des élus qu'il rencontre parfois, ni même d'un danger physique quelconque. Quant à l'idée de la mort, il y a longtemps qu'elle lui est familière, il ne laissera personne, il s'en fout." (p.68)
En ce qui concerne l'intrigue, plus on avance, plus on patauge. La noirceur se fait de plus en plus sombre (relisez bien cette phrase !). Le burlesque cède à l'ubuesque ou au grotesque : on se croit parfois dans un roman surréaliste ou dans un monde parallèle. Ou alors comme dans un vieux James Bond dans lequel le méchant est totalement barré et rêve de prendre le pouvoir mondial grâce à des inventions bizarres, aberrantes et incroyables (je lisais très récemment dans un magazine que pour faire un bon texte, il ne fallait pas trop d'adjectifs. Zut, encore raté !). C'est drôle, un peu effrayant et surtout hors mode. On ne lit plus vraiment ce genre de délires dans les romans policiers du moment dans lesquels coule l'hémoglobine et les dépeçages suivent des meurtres horribles minutieusement décrits. Merci M. Delaporte de ne pas faire dans le produit de consommation courante !
En plus, au hasard d'un chapitre consacré à un chapitre de la guerre d'Algérie de Landier, on peut lire des phrases beaucoup plus graves racontant le calvaire des Algériens qui se sont battus pour la France :
"Impossible de retourner en Algérie ! Les Français; qui ne pensent qu'à parader avec leurs "racines" dont on ne comprend pas qu'ils puissent en être fiers puisqu'ils n'en sont pas responsables, nous considèrent comme des sous-hommes ! Le mépris alors que je suis plus français que la plupart des Français ! Je n'ai pas essayé de me faire pistonner pour éviter le service militaire ni fait semblant d'avoir mal dans le dos comme beaucoup d'entre eux à l'époque ! Quand je pense que j'ai risqué ma peau pour ces cons-là !" (p.56)
Ce n'est pas le sujet principal du livre, mais ce chapitre est fort et inévitable, et il reprend quasiment mot pour mot mon interrogation principale apparue lors du fameux -et lui très évitable- débat sur l'identité nationale : "Pourquoi être fier d'être Français puisque je n'y peux rien et que je n'ai rien fait pour l'être, au contraire de certains qui luttent pour le devenir ?".
Pour le reste, eh bien, je l'ai déjà dit, un petit -par la taille- polar atypique qui est déjà la quatrième aventure du principal Landier, un anti-héros en proie à des vrais questionnements, de vrais doutes sur son parcours, sa vie, la trace qu'il laissera, ...
Dans les allusions pas très évidentes, l'une est faite concernant Le géranuim ovipare, recueil de poésie de Georges Fourest (merci Goo...) qui m'était passé entre les mains il y a longtemps. Je l'ai racheté depuis cette lecture : un polar qui vous donne envie de lire de la poésie, pas courant n'est-il pas ?
Merci Agnès.