Double bonheur
Double bonheur, Stéphane Fière, Ed. Métailié, janvier 2011
François Lizeaux est un spécialiste de la Chine et parle couramment le mandarin. Aussi lorsqu'on lui propose un poste d'interprète au consulat de Shanghai, il saute sur l'occasion et arrive très rapidement et plein de bonne volonté dans cette ville particulièrement active. Son travail est très prenant, il ne l'empêche pas néanmoins de faire la connaissance d'étrangers mais aussi de Chinois, et parmi eux, la très belle An Lili dont il tombe immédiatement amoureux. Petit à petit, il se sent devenir un vrai Chinois et veut oublier sa vie d'avant. Mais tout n'est pas aussi simple que cela.
Un point en préambule sur l'auteur : Stéphane Fière travaille en Chine depuis très longtemps, parle le mandarin et vit avec les communautés chinoise et pas avec les expatriés. Il connaît donc parfaitement son contexte.
Le livre commence par l'immersion de François Lizeaux qui deviendra très vite Li Fanshe ou encore Xiao Li. Après des débuts sur les chapeaux de roues, Li Fanshe s'aperçoit que le consulat est empli de personnes sans scrupules, qui profitent du système, de leur éloignement de France pour vivre royalement. Mais de l'autre côté, en Chine, tout est prétexte à négociations, à l'achat : la moindre demande de service est rémunérée - au noir bien sûr. Il est assez incroyable de voir que tout tourne autour de l'argent. La société chinoise, communiste, aime l'argent, et les gens qui en ont -légalement ou illégalement- et qui ne le partagent pas, vivent bien. Cette plongée dans la Chine moderne est très intéressante et instructive.
Vient ensuite la seconde partie, qui se recentre autour de Li Fanshe et de ses amours. Afin d'offrir à sa belle une vie facile, Li Fanshe commence à faire des "piges" rémunérées au noir, il se laisse également embarqué dans une histoire pas très claire au risque de ne pas s'en sortir. A partir de là, il devient presque antipathique, totalement obnubilé par l'amassage d'argent : il n'y a plus que cela qui compte, peu importe les moyens d'y arriver. Il faut dire que du Consul au moindre salarié du consulat, tout le monde tente de gagner plus, si possible sans travailler plus. La tentation est donc grande, et y céder est très facile.
Remarquablement documenté ce roman nous montre une Chine très différente de ce que l'on veut bien nous faire voir habituellement. Par exemple, voici ce qui dit Li Fanshe des industriels venus chercher des marchés dans ce pays dont on nous dit qu'il est porteur : "Mais sur leurs visites, je ne m'étendrai pas, je suis interprète, pas mage, sorcier ou devin : leur exaltation initiale cédera progressivement le pas à la surprise, à l'étonnement, à la déception, au découragement, à la lassitude et à l'accablement, le marché chinois ne se pénétrant pas aussi facilement que les oracles en France le prédisaient." (p.318)
Très bien écrite l'histoire se laisse suivre très agréablement, et Stéphane Fière montre une vraie belle plume : "j'ai souvent trouvé singulière cette facilité avec laquelle les femmes entraient dans ma vie, et plus troublante encore la désinvolture avec laquelle elles en sortaient comme si, dans une sorte d'intuition prodigieuse ou par le truchement d'un système d'entraide secret, exclusivement féminin, à l'homme inconcevable, à moi en tout cas incompréhensible, elles se donnaient le mot pour ne pas rester au-delà d'une imite raisonnable et déterminée au départ, pour ne pas s'attarder ni pérenniser une relation à l'avance sans issue et dont le sens était perdu avant même d'avoir été trouvé" (p.209) Je ne sais pas vous, mais moi, j'aime beaucoup cette partie de phrase. D'ailleurs les passages dans lesquels Li Fanshe est soit désespéré d'être seul, soit amoureux, soit dans l'attente des retrouvailles avec sa belle An Lili, sont les plus belles du livre, souvent poétiques, parfois un peu trop lyriques, mais que voulez-vous, ce sont les transports de l'amour !
Excellent bouquin donc, qui en prime, offre une petite dose de suspense sur la fin : la cerise sur la gâteau... de riz bien sûr ! Keisha a lu et aimé aussi.
NB : le symbole double bonheur apporte la bonne fortune à celui qui le porte ou entre en contact avec lui. Il est très important dans la culture chinoise. Il représente une certaine perspective et philosophie de la vie, à savoir que chaque personne a une âme sœur en ce monde (source : chine-informations.com)