Chroniques mélancoliques d'un vendeur de roses ambulant
Chroniques mélancoliques d'un vendeur de roses ambulant, Bruce Bégout, Ed. Allia, 2014....
Le narrateur est un jeune homme, Indien, brillant il a fait de hautes études en sciences politiques et en anthropologie. Mais la corruption et le népotisme ont eu raison de ses ambitions d'aller encore plus loin, lui le fils d'une famille de la classe moyenne. Il se retrouve à Paris, vendeur de fleurs ambulant, de ceux qui nous agacent lorsqu'on dîne en amoureux. Il ne vend pas beaucoup, est un fin observateur des mœurs des Français. Ce sont ses chroniques effectivement mélancoliques qu'il nous est donné de lire dans ce court livre, extrait d'un recueil intitulé L'accumulation primitive de la noirceur et paru en 2014 chez Allia.
Pas gai évidemment, mais comment ce livre pourrait l'être en traitant du sujet des sans papiers, obligés de faire des boulots de merde pour survivre, même lorsqu'ils sont surdiplômés ? Mais surtout ce bouquin met mal à l'aise, elle nous renvoie à nos propres comportements : lequel d'entre nous n'a jamais dit non à un des marchands de fleurs qui viennent dans les restaurants des villes vendre leur camelote, ou n'a jamais passé son chemin sans regarder le mendiant ou le vendeur du journal des sans-abris ? "J'apprécie l'effet de surprise que je provoque, et la répugnance qui, tout de suite, se lit sur les visages atterrés. Bien entendu, je choisis en priorité les couples, mes cibles privilégiées, mais il ne me déplaît pas d'interrompre également des groupes, voire des femmes seules." (p.17)
Le jeune homme décrit sa vie de tous les jours, ses efforts pour tenter de gagner quelqu'euros, sa vigilance quotidienne pour déjouer les policiers : "Je ne peux [...] me laisser aller à la moindre distraction. Je suis toujours sur le qui-vive, les paupières repliées en forme de volets roulants, les pupilles dilatées comme des soleils noirs. La flânerie m'est proscrite, chacun de mes pas porte la marque d'un emploi, le poids d'une nécessité qui exclut tout relâchement." (p.33). Ces marches forcées et longues sont propices à l'observation et à la réflexion. Son cursus universitaire le plonge dans des pensées et des concepts philosophiques assez aisément, il élabore des théories sensées qui sonnent juste. Celle qui concerne le pessimisme me paraît très pertinente, moi qui n'arrête pas de dire que je suis d'un naturel optimiste -mais qui ces derniers temps, je l'avoue s'écorne un brin. Mais je tiens bon, pour garder mon optimisme j'ai coupé les émissions de radio et de télévision qui m'assombrissaient ; désormais, j'écoute la musique sur FIP ou NOVA (ce que je faisais avant aussi mais en alternance avec d'autres types d'émissions, par exemple sur France Inter) et ne regarde que les films ou séries à la télé et des reportages bien choisis, pas ceux qui dénigrent systématiquement ou au contraire encensent les réussites de manière totalement indécente :"J'ai bien conscience que le pessimisme fait essentiellement le jeu de ceux qui souhaitent que rien ne change, et aide au maintien de l'ordre. La peur à toujours été, et sera toujours, le meilleur instrument de domination. J'y songe souvent en marchant : ceux qui ne cessent de déplorer l'état du monde servent les intérêts de ceux qui le rendent déplorables."(p.49/50)
Vous l'aurez compris, ce petit livre m'a plu. Par les thèmes qu'il aborde mais aussi par la manière d'en parler. Bruce Bégout alterne les niveaux de langage, est souvent dans le courant, puis peut passer à l'énoncé de concepts plus complexes en une ligne, pour revenir au quotidien de son vendeur de roses. Une nouvelle excellente, profonde, dans une belle langue doublée d'un beau personnage qu'on aurait envie d'aider, mais qui malheureusement a dû faire partie des vendeurs à la sauvette qu'on n'a même pas regardés.