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Chiens féraux

Publié le par Yv

Chien féraux, Felipe Becerra Calderón, Ed. Anne Carrière, 2011

Nord du Chili en 1980. Carlos, policier est affecté à la surveillance de la réserve de Huara. Sa femme, Rocio le suit abandonnant au passage ses études de médecine. La région n'est pas vraiment accueillante, ni ses habitants envers ceux qui représentent le régime autoritaire et franchement dictatorial de Pinochet. L'extrême solitude de Rocio et de Carlos joue sur leur santé mentale. Carlos écrit ses craintes sur l'état psychologique de sa femme. Rocio, elle a des hallucinations. Le livre débute par ces mots : "On ne peut pas continuer comme ça, maman, on ne peut pas. Il fait si froid, ici, dans l'ombre, dans ce tourbillon noir. Et ce sifflement persistant, comme une douleur, maman chérie. Laisse-nous leur raconter ton histoire, laisse-nous nous délivrer de tout ce fardeau, s'il te plait, on ne fera de mal à personne." (p.17) Celles qui s'expriment ainsi, ce sont les voix d'enfants, probablement ceux que le ventre de Rocio n'a pas encore portés.

Ce sera tout l'un ou tout l'autre : ou ce roman vous accrochera ou il vous tombera des mains ! Un roman qui alterne des débuts de chapitres classiques, qui racontent des faits avérés -du moins le pense-t-on- avec des fins délirantes, surréalistes. Certains autres chapitres, ceux dans lesquels les voix d'enfants s'expriment sont totalement irrationnels, barrés. Ce qui fait dire à l'éditeur que nous avons affaire à "un texte dense, où la langue se fait schizophrène." (4ème de couverture) J'acquiesce, j'applaudis et j'opine -tout cela en même temps ? Bien sûr, tout mâle que je suis, je sais faire plusieurs choses simultanément- et je reprends donc au crédit de mon article cette définition qui colle bien à ce livre.

L'histoire va assez vite malgré le paysage désertique, la lenteur des gestes et l'inactivité des personnages. Les phrases courtes, voire très courtes imposent une lecture saccadée et rapide -enfin, pour moi au moins ! Et puis, si Carlos et Rocio ne sont pas très actifs, les enfants imaginaires eux le sont, il s'agitent pour s'inscrire de manière indélébile dans la tête de leur maman :

"... plus nous courons, plus nous creusons profondément dans son cerveau. Et nous ne cesserons pas, tout en lacérant nos pattes, pour atteindre le centre, et tout foutre en l'air au coeur même de sa cervelle." (p.72)

On attend l'inéluctable, on sent la folie monter en puissance, progressivement. Mais ici point de folie douce, drôle. Point d'actes qui font rire :

"Le monde de maman ressemble à une farce étrange, n'est-ce pas ? Mais à une farce faite aussi de douleur et de folie, et d'une peur insupportable. Dans ce qui suit, par exemple, il n'y a pas un poil de rigolade. On vous aura prévenus. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas." (p.24)

Néanmoins, grâce à une écriture extrêmement simple et accessible (à condition de se laisser porter par les délires des uns et des autres), la lecture n'est pas pesante. Elle n'est pas banale. Elle marque et ne laisse pas insensible ni indifférent. A plusieurs moments, j'ai fait un parallèle avec une lecture ancienne : Le bal des vipères de H. Castellanos Moya (écrivain salvadorien), un livre lu il y a 3 ans et qui me reste encore en mémoire assez fortement. Mais contrairement au livre salvadorien -désolé pour la concision de l'article que je lui ai consacré, c'était au tout début de mon blog, j'étais encore jeune et peu disert-, il n'y a dans Chiens féraux aucune critique ou métaphore de la dictature. L'auteur s'en explique dans un avant-propos instructif et intéressant qui le place lui, écrivain né au Chili à peine 5 ans avant la fin de Pinochet, comme un "critique auditeur", imprégné de l'histoire de ses parents et grands parents, mais qui n'a pas vécu cette période. Il qualifie son ouvrage de "longue errance, la divagation embrouillée d'un enfant un peu fou [...] Un babillage d'enfant, un gazouillis que quelqu'un croit entendre entre la poussière et le vent." (p.14/15)

Un autre roman de cette rentrée littéraire ! Puissant et original.

D'autres avis : Leiloona, Aproposdelivres.

Deux images pour presque finir : la première pour le challenge Les Agents Littéraires et la seconde pour les dialogues croisés de la Librairie Dialogues (Merci Caroline)

 

 challenge-rentrée-littéraire-2011 dialogues croisés

 

 PS : Féral (als, aux) : adjectif masculin : se dit d'un animal domestique qui retourne à l'état sauvage. Des chats ou des chiens férals ou féraux. Voilà, grâce à la littérature, vous comme moi, apprenons un mot nouveau.  

Dernière minute : Les Agents Littéraires proposent un sondage sur les revues que nous aimerions recevoir chez nous. Si vous êtes intéressés c'est .

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Y
<br /> La littérature chilienne me tente, bien sûr, surtout quand elle est originale comme celle-là.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Bon eh bien bonne lecture (veux-tu que je te l'envoie ?)<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Cà me fait penser à "l'accordeur de silences" lu récemment. Cà passe ou çà casse et on ne sait pas très bien expliquer pourquoi. Je préfère m'abstenir pour l'instant, de la folie point trop ne<br /> faut.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Oui, j'ai vu ton billet sur ce livre, qui a certains points communs<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci, maître Capelo, pour cette précision. Bonne soirée.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je t'en pris, dès que tu veux des précisions intello, tu me demandes ;)<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Merci de nous prévenir, j'avais laissé passer ce vote possible sur le site des agents littéraires; je m'empresse d'aller voter (le vote est à la mode, en plus...)<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Puisque nous pouvons encore voter, ne nous privons pas !<br /> <br /> <br /> <br />