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Baho !

Publié le par Yv

Baho !, Roland Rugero, Ed. Vents d'ailleurs, 2012

Nyamuragi est burundais. Muet, il vit paisiblement dans un village de ce pays. Un matin, après avoir mangé et bu plus que d'habitude, il cherche un endroit pour se soulager. Il aborde une jeune fille de 14 ans, et par geste, lui demande de lui indiquer un endroit tranquille et à l'abri. Mais, récemment, plusieurs femmes du village se sont fait violer et Kigeme, la jeune fille pense que Nyamuragi veut l'agresser. Elle crie, hurle et la foule arrive, la sauve et veut se faire justice elle-même ; Nyamuragi est traîné jusqu'à un arbre pour être pendu.

Roland Rugero part d'un besoin naturel pour construire son histoire. Il raconte aussi le parcours de chacun de ses héros avant d'arriver à cette situation ubuesque. Il démonte joliment les mécanismes de la montée de la violence, du déchaînement de haine et de l'auto-justice. Le coupable désigné, innocent est faible, handicapé, ne peut se défendre, de toute façon la foule ne lui en laisse pas le temps. Par le biais de cette histoire l'auteur parle de l'intégration des handicapés, de la difficulté de vivre tous ensemble. Nyamuragi, "Né incomplet, il se contentait de vivre son atrophie. Pour lui seul, sans en faire une tragédie ni une affaire de vengeance sur le destin. Il ne faut pas craindre ce qui est. Sa mère lui disait : "Ibuye riserutse ntirimena isuka", "Le caillou qui émerge de la terre ne peut briser la houe". Dès que le cultivateur voit un caillou poindre du sol qu'il sonde de sa houe, il s'arrête, prend la peine de le ramasser, le jette loin et s'enfonce plus calmement dans son labeur." (p.69)

Ce petit roman (109 pages) oscille entre fable, poésie, roman de la tolérance et de l'intolérance. L'écriture varie elle aussi entre poésie et style plus linéaire, entre roman classique et tradition. Parfois, on peut se perdre pendant quelques paragraphes, mais on reprend pied très aisément. Les premières phrases sont très belles, représentatives de certaines digressions de Roland Rugero tout au long du livre : 

"Les cieux sont nus en ce mois de novembre.

Honteux, ils essaient de tirer quelques nuages pour se couvrir sous l'impitoyable soleil qui met au jour, de manière résolue, délibérée et éclairée, leur nudité.

Nus, bleus. Bleu de l'eau, couleur du Tanganyka, cette plaine ondoyante de l'Ouest. Des fontaines qui parsemaient les vallées autour de Kanya, l'eau y était il y a peu claire et limpide, abondante : mais elle manque. Un novembre sec." (p.7)

Parfois de telles interventions de l'auteur sont déroutantes, mais elles donnent au récit ce que j'ai appelé de la poésie, une dose d'irréalité dans la plus belle tradition des histoires africaines. 

Roland Rugero est burundais et ce joli roman est publié par une petite maison d'édition, Vents d'ailleurs spécialisée dans les cultures d'ailleurs, dans sa collection Fragments. une maison d'édition que j'ai découverte il y a quelques mois avec le superbe livre de Gary Victor Le sang et la mer. Très beaux livres, très beau travail qui ne vous laissera pas insensible.

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