Au pied du mur , Elisabeth Sanxay Holding, Éd. Baker street, 2013 (Ed. Gallimard, 1953), traduction de Gérard Horst et J-G Marquet revue et mise à jour par Françoise Jaouën ...,
États-Unis, près de New York, en pleine seconde guerre mondiale, Lucia Holley vit avec son père et ses deux enfants adolescents près d'un lac, Tom son mari est parti à la guerre depuis 3 ans. Lorsque Bee sa fille s'entiche d'un homme marié au passé douteux, Lucia tente de la protéger. Un matin après une discussion avec cet homme, elle le retrouve mort dans le hangar à bateau. Elle décide de se débarrasser du corps persuadée que c'est son père qui, lors d'une dispute, l'a tué. Ensuite, c'est une suite de mésaventures : des truands se suivent chez elle pour lui demander de l'argent, la faire chanter et la menacer elle et les siens. Puis la police s'en mêle.
Un polar assez efficace dans lequel l'héroïne est prise dans une spirale infernale : quoiqu'elle fasse son sort empire. D'autant plus que la société étasunienne de l'époque n'est pas très ouverte à l'émancipation des femmes : Lucia ne travaille pas, son mari ne le voulait pas, elle doit s'occuper de son intérieur et de ses enfants, aidée par Sibyl, la domestique noire très débrouillarde, discrète et efficace. Il est très intéressant de se replonger dans ces années-là, pour voir comment la société a évolué : pas de machine à laver, pas de portable, pas d'ordinateur, pas beaucoup de voitures car l'essence était rationnée et les pneumatiques également ; on est vraiment en plein cœur des préoccupations d'une femme de l'époque, seule un peu perdue, car pas habituée à tout gérer et en plus on lui rajoute des événements exceptionnels auxquels elle doit faire face. Lucia est une femme courageuse qui s'ignorait telle avant. Elle est présente de la première à la dernière page du roman, on connaît ses tourments, ses angoisses, ses peurs, ses interrogations : "Et si on m'enferme, moi aussi ? J'ai déplacé le corps. Les enfants n'auraient plus personne. Je sais que Sibyl prendrait soin d'eux, mais quel scandale ! Non ce n'est pas possible ! Ce genre de choses ne peut pas arriver à des gens comme nous. Je ne peux pas tout avouer à l'inspecteur Levy. Mais je ne peux pas non plus laisser ce Murray en prison, même une nuit de plus. J'ai sûrement enfreint la loi en déplaçant Ted. Mais si je laisse Murray en prison tout en sachant qu'il est innocent, c'est criminel. C'est un véritable péché."( p.151) Et oui, à l'époque, on ne rigolait pas avec la réputation et la religion surtout dans ce pays. Elle fait face courageusement, doit affronter ses enfants qui ne la comprennent plus, la pègre et les flics dans une montée inexorable de la tension et du suspense. Alors, certes, depuis on a lu beaucoup plus dur, violent, trash ; on est allé plus loin dans beaucoup de domaines, mais ce roman a un charme certain et se lit très agréablement. Rythme enlevé, très rapide grâce à des phrases courtes et un texte très dialogué, ce qui fait que les 315 pages passent très rapidement d'autant plus vite que l'intrigue n'a pas de temps mort. Très bien construit et maîtrisé, on ne s'y ennuie pas une seconde. C'est sans doute la raison pour laquelle Max Ophüls en a fait un film dès 1949 (le livre est édité aux États-Unis en 1947), Les désemparés (avec Jona Bennet et James Mason et que deux réalisateurs étasuniens en ont tourné un autre en 2010, Bleu profond , avec Tilda Swinton. Preuve supplémentaire que c'est un bon livre, il connut une première réédition en français en 1966, dans la Série noire de Gallimard et celle que j'ai le plaisir de vous présenter chez Baker Street en 2013 !