A tire d'elles

A tire d'elles, récits de vie, Jenny Desbois, Auto-édition choisie, 2013...,
Jenny Desbois, auteure de poésie et de polars vit à Rezé près de Nantes. Là, elle fait des rencontres, notamment celles d'Edith, de Maya, de Massada et de Fangie, quatre femmes qui se racontent. Elles ont en commun d'être nées dans les années cinquante, d'avoir donc vécu la révolution sexuelle de la fin des années soixante, le droit et l'émancipation des femmes en tant que jeunes femmes ou d'être jeunes femmes juste après les luttes de leurs grandes sœurs et de pouvoir alors s'affirmer en tant que femmes dans un monde masculin.
Edith est née en 1950 en Tunisie, pays qu'elle quittera en 1964 pour venir vivre à Rezé, sous l'emprise d'un père très présent. "Douloureuse expérience pour une adolescente de 14 ans, que celle de quitter son lieu d'origine pour découvrir un pays d'adoption dont seuls ses parents étaient natifs. De cette France inconnue, il faudrait faire sa terre, son lieu de reconstruction, celui de ses retrouvailles avec une tribu familiale encore étrangère." (p.33) Elle deviendra esthéticienne, sa mariera et sombrera dans l'alcoolisme, avant d'en sortir puis replonger puis d'en sortir de nouveau et de se tourner vers les autres.
Maya est née en 1958, de parents peu instruits, ruraux qui viendront s'installer à Nantes, se confronter à la vie urbaine tellement loin de leur éducation. Maya a été conçue avant le mariage et ça, dans les campagnes de l'époque, très empreintes du "rigorisme du catholicisme des cinquante premières années du vingtième siècle" ce n'est pas bien vu ; "la "fille-mère" portera à sa charge la double peine : celle de mettre au monde un bébé sans forcément avoir la reconnaissance du père, et celle de mettre sa propre famille en lumière de manière négative, parce que réprouvée par l'église, pesant encore de tout son poids dans le milieu rural" (p. 74). Maya grandira en ville, fera des études, fondera une famille avec Tom et militera diversement tout en gardant très présentes sa foi et son implication dans l'église et les mouvements catholiques ouvriers.
Massada naît en 1950, c'est une femme volontaire, décidée au caractère trempé : "Je m'appelle Massada et je suis née en colère. Les femmes de la famille avec lesquelles je partageais le quotidien, n'avaient pas trouvé grâce à mes yeux. [...] Je savais intuitivement qu'il me faudrait créer ma vie de toutes pièces, indépendamment des modèles reçus. Je ne voulais surtout pas être enchaînée à la lourdeur familiale qui m'avait oppressée lorsque j'étais enfant...On ne m'imposerait rien, je serais indomptable..." (p.117) Abandonnée par son père, très indépendante, elle vit intensément ses relations, ses passions.
Fangie naît en 1958, non désirée, la troisième de la fratrie, un accident. Accident qui obligera sa mère, femme qui travaille (et qui gagne plus que son mari, à l'époque, c'est très rare, encore plus que maintenant) à démissionner et à s'occuper des trois enfants, épreuve qu'elle ne surmontera jamais vraiment. Fangie grandit, se marie et fait des enfants mais ne renonce pas à exercer sa profession, contrairement à sa mère ; même lorsque son mariage risque le naufrage, elle ne renoncera pas à travailler comme l'espère son mari. "C'était comme une lente érosion, une atteinte à mon intégrité et à ma liberté, de celles qui ne pardonnent pas. Je me voyais sans cesse reprocher les obligations professionnelles qui étaient les miennes et je ressentais cela comme l'emprise d'une main masculine visant à étouffer ce qui vibrait en moi." (p. 175)
Quatre femmes, quatre histoires qui auraient pu se ressembler, qui se ressemblent par certains points, parce que nées dans des milieux similaires, dans les mêmes années, des femmes aux mêmes aspirations de liberté. Et au final quatre histoires totalement différentes, parce que chaque chemin est personnel, chaque rencontre œuvre en nous de manière différente.
Jenny Desbois parvient sans peine à nous intéresser à ces vies de femmes "normales", grâce à une écriture vivante, à la troisième personne pour Maya et Edith avec beaucoup d'extraits de leur parole et à la première personne pour Fangie et Massada. Ce n'est pas vraiment mon type de lecture habituel, et si on ne m'avait pas mis ce livre en mains, je ne l'aurais sans doute point ouvert, mais je l'ai ouvert et j'ai été très agréablement surpris par la qualité de l'écriture qui ne cède pas aux facilités, parfois travaillée avec de belles longues phrases, parfois plus orale, poétique (des extraits de poèmes de l'auteure, d'Andrée Chédid, de JL Aubert et Barbara). Un très bon travail de dialogue, d'écoute et d'écriture sur des femmes libres et vivantes.
Le livre est en vente au prix de 15 € (commande et réservation : jenny.desbois@laposte.net), le bénéfice éventuel est reversé à des associations locales. Une belle lecture doublée d'une bonne action à quelques jours de la journée de la femme, ça ne se refuse pas !