Le colonel ne dort pas
Le colonel ne dort pas, Émilienne Malfatto, Ed. du sous-sol, 2022
Dans la Ville, le vieux dictateur a été renversé. La Reconquête n'est pas si aisée et le nouveau pouvoir mène le combat pour reprendre tous les territoires. Il fait appel au colonel, le spécialiste des interrogatoires musclés, de la torture pour obtenir des informations. Celui-ci qui a servi le pouvoir précédent est un homme qui ne dort plus depuis des années, les hommes qu'il a torturés le hantent.
Son ordonnance l'observe, muet, et dans le grand palais vide qui prend l'eau qui tombe sans discontinuer depuis des semaines, le général censé mener la Reconquête devient fou.
Émilienne Malfatto que l'on a découverte avec l'excellent Que sur toi se lamente le tigre, revient dans un roman très court, elliptique, très beau. D'ailleurs est-ce un roman, de la poésie, tant les deux se mélangent ? Chaque chapitre s'ouvre avec un texte en italique, les pensées du colonel, un poème en prose, dans lequel il s'adresse à ceux qu'il a torturés et qui à leur tour le torturent : le persécuteur persécuté. Souvent il aborde la guerre, la mort donnée en son nom et les honneurs liés :
"après la guerre après les Hommes-poissons les
marécages
il n'y avait que le silence
et les médailles les décorations accrochées sur
les poitrines que les âmes
avaient désertées
du clinquant du doré sur une poitrine vide
ça fait joli mais ça sonne creux" (p.59)
En peu de mots, Émilienne Malfatto brosse un portrait juste et dense, profond ; on sent les émotions, les peurs et angoisses du colonel, la folie qui s'empare du général. Cent-dix pages dans lesquelles l'homme change, la Ville et la Reconquête itou. Et l'on se prend à rêver d'un monde où les hommes cesseraient d'ambitionner le pouvoir à tout prix même celui de la guerre.
Très beau texte, original dans le fond et la forme. Une autrice qui excelle dans les romans courts et denses, qui cultive un style très personnel, tout ce que j'aime.