Les sentiers obscurs de Karachi
Les sentiers obscurs de Karachi, Olivier Truc, Métailié, 2022
Jef Kerral est journaliste localier à Cherbourg. Proche d'un des rescapés de l'attentat de Karachi en 2002 qui a coûté la vie à 14 personnes dont 11 ingénieurs français travaillant à la mise au point de sous-marins achetés par le gouvernement pakistanais. L'enquête sur cet attentat mettra à jour des rétro-commissions qui auraient financé la campagne d’Édouard Balladur en 1995. Toutes les victimes françaises sont de Cherbourg. Entre son ami victime, Marc Dacian, et son père qui n'a jamais contredit la version de l'entreprise la DCN, Jef est tiraillé. Aussi décide-t-il de partir à Karachi se faire sa propre idée et écrire des articles sur la vie au Pakistan. Il reçoit sur place, l'aide d'une lieutenante de l'armée pakistanaise.
Après le froid des enquêtes de la police des rennes et son formidable Le cartographe des Indes boréales, plutôt basé dans des régions frisquettes elles-aussi, Olivier Truc change de climat et nous emmène au Pakistan, en avril/mai, en pleine chaleur à peine supportable. C'est l'occasion pour lui d'aborder cet attentat contre les ingénieurs français de la DCN et de parler des victimes oubliées et d'une enquête qui n'avance pas, qui n'a toujours pas de réponses claires à leur apporter. Le versant politique sera une condamnation pour François Léotard et une relaxe pour Balladur. "Quelle mascarade ! Quand tu penses que tout le monde ressort libre... Quelle claque pour pour ceux qui sont morts, pour les blessés, pour les familles !" (p.67)
A Karachi, Jef est très surveillé notamment par un colonel des services secrets, et Sara la lieutenante ne peut pas l'aider comme il le voudrait : être une femme libre au Pakistan qui rencontre un étranger est très mal vu. Néanmoins, et en prenant des risques Jef avance et Olivier Truc nous enfonce dans les ruelles de Karachi, parle du quotidien des habitants qui vivent dans ce "pays de mollah et de militaires aux pouvoirs exorbitants, mais aussi un pays qui nourrit des Habib Jalib." (p.212) Habib Jalib, poète ourdou, dissident et vagabond cité par l'auteur comme d'autres poètes ourdous qui servent de moyen de communication à Jef et Sara. Olivier Truc raconte ce pays à la fois violent, dur et dans lequel la poésie est très présente, qui repousse par sa violence autant qu'il attire par sa culture.
C'est donc un roman noir dans lequel on ne verra pas l'auteur sortir une résolution de son chapeau. Il échafaude, il récapitule, il relate et décrit le contexte de l'attentat et des lieux vingt ans plus tard. En cela, il est assez original, se démarquant des romans avec crime, enquête et arrestation des coupables. Il faut y ajouter le Pakistan qui est un pays que j'ai peu souvent rencontré dans mes lectures et le talent de l'auteur pour raconter des histoires, pour insérer de la fiction dans la réalité pour qu'icelle soit davantage diffusée, notamment si elle se déroule loin de chez nous... "La loi du mort-kilomètre... [...] Une espèce de loi non écrite du journalisme. On écrit d'abord sur ce qui se passe devant sa porte. Un attentat à Karachi avec 50 morts aura autant de place qu'une agression au couteau à Heidelberg que la voisine qui se tord le pied en traversant la route à cause d'un trou pas réparé par la voirie." (p.229)