Les yeux de l'océan
Les yeux de l'océan. Mata nu Wawa, Syaman Rapongan, L'Asiathèque, 2022 (traduit par Damien Ligot)
Syaman Rapongan est Tao, l'ethnie qui vit sur l'île des Orchidées dans l'archipel de Taiwan, une petite île volcanique de 45 km2, colonisée par le Japon, puis par la Chine. Il fut l'un des premiers à pouvoir partir sur la grande île Taiwan pour étudier. Anthropologue, pêcheur, traducteur, écrivain, navigateur, il revient sur son île natale pour y réapprendre la langue et les coutumes, écrire et témoigner de sa richesse.
C'est un livre classé roman autobiographique, dans lequel l'auteur peut, j'imagine, mettre une grande partie de sa vie et broder un peu sur d'autres aspects. Il alterne ou plutôt entremêle les légendes, les histoires de démons issues des traditions des Taos, les coutumes à des faits beaucoup plus terre-à-terre. C'est parfois un peu long, mais toujours très fort et instructif. C'est fort, parce qu'il raconte ce qu'il a vu et vécu, notamment dans la colonisation et le besoin des occupants d'annihiler les traditions et la langue des autochtones. Et ce prêtre qui veut se mêler des rituels locaux remis sèchement en place par l'un des hommes tao. "Le prêtre fit semblant d'admettre notre ignorance de "primitifs" face à la religion occidentale. Il resta silencieux ; sans opposer de résistance, il retint ses paroles et ne s'avisa plus de diriger les prières. [...] Il en est ainsi de chaque peuple, de sa conception du monde, et du "Dieu" qui lui est propre. Les "prêtres" venus d'Occident ont amené avec eux leur Dieu pour coloniser ceux des autres peuples. C'est une réalité dans l'histoire depuis 1492 et les Amériques : Bible et canons s'imposent avec violence, un nom de la parole divine." (p.48)
Puis vient le temps de quitter l'île pour étudier, bouleversement totale, il faudra se faire à la langue chinoise, passer outre les brimades, les injures reçues en tant qu'aborigène, prouver sa valeur par de l'achernement, du travail, oser ne pas forcément emprunter la voie par d'autres choisie...
Une vie pas banale, pas simple, assez simplement racontée, qui permet de mieux connaître l'histoire, la géographie, la politique de l'archipel et les hommes et femmes très différents qui le composent, qui luttent contre l'uniformisation.