Une maison à Bogotá
Une maison à Bogotá, Santiago Gamboa, Métailié, 2022 (traduit par François Gaudry)
Un professeur de philologie achète après avoir reçu un prix littéraire pécuniairement doté, pour l'un de ses ouvrages, une maison à Bogotá. La maison dont il rêve depuis longtemps, depuis l'enfance, lorsqu'il passait devant. Il y emménage avec sa tante âgée qui l'a élevé à la mort de ses parents lorsqu'il avait cinq ans. La visite de la maison et le déballage des objets donnent lieu au récit de sa vie aux quatre coins du monde, puisque sa tante était haut fonctionnaire et a été en poste un peu partout. Il parle de toutes les maison qu'ils ont habitées, de sa passion pour les langues, pour les arts.
Étrange roman qui au gré de la visite des pièces de la maison nous embarque dans le monde entier pour toujours revenir à Bogotá. Santiago Gamboa digresse sur des sujets brûlants : l'errance, l'éloignement de ses racines, l'enfance, l'idée de postérité, son pays la Colombie et sa politique, les très grandes disparités entre riches et pauvres... "... à la fin de chaque mois sonnait l'alarme du découvert, surtout lorsque je découvrais que la totalité de mon salaire ne suffisait pas à le couvrir. Je compris alors qu'être pauvre coûtait cher. On passe son temps à payer des intérêts et des pénalités, et à demander un prêt pour payer les intérêts, plus les intérêts d'un nouveau prêt pour acheter une voiture d'occasion qui tombait souvent en panne. [...] Être riche coûte réellement moins cher." (p.132)
Chaque fois qu'il part dans ses souvenirs, dans ses pensées, le philologue argumente, écrit de beaux paragraphes, de belles et longues phrases. Il y clame son amour des arts et de la littérature en particulier malgré une baisse ambiante de son attrait : "Nous sommes la postérité de Shakespeare, nous le lisons encore mais il se peut que notre génération soit la dernière à ouvrir ses livres, ou ceux de Cervantes et de Balzac. Quelle importance peut avoir pour nous une postérité qui les oublie peu à peu ? On peut craindre que tout ce que nous faisons soit voué à disparaître. Tombe dans un oubli complet. C'est pourquoi la seule chose qui ait du sens est en fin de compte d'écrire pour le présent le plus vibrant, où il reste encore quelques personnes qui apprécient la littérature. C'est la fin d'une fête de l'esprit qu'il faut vivre jusqu'à notre dernier soupir." (p.75)
Tout est dit, que pourrais-je ajouter ? Rien qui ne serait aussi bien dit ou écrit. Santiago Gamboa aime l'écriture et la lecture. Cela se sent et il sait partager sa foi en la littérature dans ce roman qui pourrait sembler partir dans tous les sens et qui est au contraire diablement maîtrisé, qui ne nous perd jamais, nous accroche dès son début et ne nous lâche pas une seule fois. J'ai déjà pas mal cité d'extraits, j'en avais repéré encore plein, mais le mieux est de les découvrir dans l'entièreté du roman.