Le Christ s'est arrêté à Éboli
Le Christ s'est arrêté à Éboli, Carlo Levi, Gallimard, 1948 (traduit par Jeanne Modigliani)
"Le Christ s'est arrêté à Éboli" disent les paysans de Gagliano, petit village de Lucanie, tellement ils se sentent abandonnés, misérables. L'auteur, antifasciste, a vécu là, en résidence surveillée, de 1935 à 1936. L'histoire de son séjour forcé parmi ces gens frustes et douloureux a été un des grands événements de la littérature italienne." (4ème de couverture)
Écrit à Florence dans le premier semestre 1944 et publié en Italie en 1945, c'est un classique de la littérature italienne dont Francesco Rosi a tiré un film sorti en 1979 avec Gian Maria Volontè.
Dans sa version poche (Folio) de 300 pages, c'est un récit dense, à la police de caractère petite et peu d'espaces, les pages sont pleines. A peine entré dans le livre on s'aperçoit qu'on ne pourra pas passer des lignes ou des mots et qu'il faudra prendre le temps de savourer. Lent, très lent c'est le récit d'un confinato qui, petit à petit, apprend à connaître les gens qui l'entourent. Il décrit admirablement ce qu'il voit, contemplatif, dans de superbes tournures de phrases : "A la balustrade des balcons se balançaient paresseusement au vent des chapelets de figues, noires de mouches accourues pour en aspirer les derniers sucs, avant que la brûlure du soleil ne les eût taris. Devant la porte, dans la rue, sous les étendards noirs, des nappes liquides et sanguines de conserves de tomates séchaient sur des planches au soleil. Innombrables comme le peuple de Moïse, des essaims de mouches passaient à gué les parties déjà solidifiées de cette Mer Rouge ; tandis que d'autres se précipitaient et s'engluaient dans les zones humides et s'y noyaient comme les armées du pharaon, avides de vivre." (p.72)
Assez rapidement, puisqu'il est médecin de formation, il est sollicité par les paysans ; profondément humain et préférant la compagnie des paysans à celle des notables même si son statut d'intellectuel (médecin, journaliste, peintre et écrivain) l'oblige à les fréquenter, il en est vite accepté. Entre deux consultations et son activité de peintre, il prend le temps d'observer, analyser ce qu'il voit. Il décrit finement les habitants du village : les notables imbus, fiers et profiteurs et les paysans pauvres, harassés de travail. La coupure entre les élites de Rome et les gens isolés du sud de l'Italie est nette, forte. Ces derniers ne s'occupent que peu des affaires italiennes, de la guerre qu'elle soit en Europe ou contre l’Éthiopie, ils n'en ont pas le temps.
Ce récit dense est, je l'écrivais plus haut, admirablement écrit, oppose les deux mondes, celui des paysans de Gagliano et Rome, deux mondes qui ne se rencontrent jamais. Carlo Levi retrace également l'histoire du sud de l'Italie, de la Lucanie, autant l'histoire avec un grand H que les légendes et croyances, tout ce qui forge l'identité des gens qui y habitent.
Un grand roman, qui, à certains égards, parle également de nos sociétés actuelles dans lesquelles les dirigeants, malgré leurs discours, n'ont jamais été aussi loin des préoccupations des peuples. Actuellement, chez nous, on nous rebat les oreilles avec l'immigration, les migrants, la sécurité -parce que quelques personnalités surfent sur nos bas instincts croyant que ça suffira à se faire un nom et voulant imposer dans la société une vision étriquée, raciste et xénophobe d'une France de (bons ?) Français qui n'accepterait pas la différence- alors que la plupart d'entre nous n'en a rien à faire et serait au contraire prête à aider des gens dans la misère qui fuient leur pays...
Pou, pouf, je m'emballe, mais ce qui se dit en ce moment m'agace au plus haut point, je dois évacuer... En attendant, lisez ce très bon et beau livre de Carlo Levi.