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Ali et sa mère russe

Publié le par Yv

Ali et sa mère russe, Alexandra Chreiteh, Perspective Cavalière, 2022 (traduit par France Meyer)

A l'été 2006, Israël déclare la guerre au Liban. Une jeune femme russo-libanaise se retrouve dans un bus affrété par l'ambassade russe pour gagner la Russie et échapper au conflit. Dans ce bus, elle retrouve Ali, un copain de lycée perdu de vue depuis des années. Ce long périple est l'occasion de se (re)découvrir et l'attitude ambiguë d'Ali qui ne cesse de se dire prêt à défendre son pays et le fuit lorsqu'il est en guerre interroge la jeune femme.

Court texte particulièrement vif et incisif. On ne s'y ennuie pas, Alexandra Chreiteh usant d'un ton léger, ironique et mordant pour décrire des situations graves et tragiques. Ses premières phrases sont très explicites quant à l'ambiance voulue : "Le 12 juillet 2006, on apprit que le Hezbollah avait kidnappé deux soldats israéliens à la frontière. Ce qui ne nous empêcha pas d’aller manger des sushis. On finissait tout juste de déjeuner quand Israël déclara la guerre au Liban. Les employés du resto se dépêchèrent de fermer et nous demandèrent de partir tout de suite. On partit tout de suite, sans payer l’addition. Coup de bol, on avait choisi un des restos les plus chers du centre de Beyrouth." (p.5)

Le reste ne détonne pas, la jeune narratrice allant au plus direct, ne s'embarrassant pas de détours lorsqu'elle peut aller en ligne droite. J'ai beaucoup aimé ce texte fort et puissant qui raconte des faits violents -la guerre fait rarement dans la douceur- comme il pourrait le faire de notre quotidien. Cet extrait qui suit peut déranger, surprendre et faire rire ou sourire, et pourtant le pire y est écrit : "Je passai ensuite à la petite épicerie voisine, où je m’aperçus que les rayonnages étaient presque vides. Je pris un pack de quatre litres d’eau, un paquet de biscottes, une barquette de fromage à tartiner, et je m’approchai de l’épicier pour payer quand mon regard fut attiré par le petit téléviseur qui diffusait devant lui les dernières images des bombardements, et où apparut brièvement juste à ce moment-là le corps mutilé d’une enfant ; je me retournai, ouvris le frigo derrière moi, et attrapai une autre barquette de fromage à tartiner." (p.11/12)

En peu de mots, Alexandra Chreiteh parvient à décrire la difficulté de vivre dans un pays en guerre, de vivre dans un pays dans lequel la position et le statut de la femme ne sont pas très enviables, dans lequel il est impossible d'avouer son homosexualité -l'ironie du sort est de fuir en Russie où les homosexuels sont régulièrement agressés. Tout ce qu'elle décrit passe par les dialogues entre ses personnages, leurs attitudes, cette fuite en car étant révélatrice de leur personnalité, de leur for intérieur. L'auteure se moque de ses créatures fictives, la jeune narratrice ne se révélant pas sous son meilleur jour ni son ami Ali ni même les autres passagers du car. Tout passe par le filtre décalé et satirique de l'écrivaine qui semble ne rien respecter, et surtout pas la société dans laquelle elle évolue. Une satire sociale décalée et impitoyable. J'adore.

Très bien fait, ce court roman se lit vite quasiment sans faire de pause. C'est le deuxième à paraître dans la nouvelle maison d'édition Perspective Cavalière qui propose un livre très soigné et une couverture magnifique, très Tintinesque.

PS : je ne le fais pas souvent, mais cette maison d'édition qui débute n'est pas encore distribuée partout, donc si ce livre vous intéresse, ce qui est une bonne idée, voici le lien pour vous le procurer : Prespective cavalière.

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