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La diablesse dans son miroir

Publié le par Yv

La diablesse dans son miroir, Horacio Castellanos Moya, Métailié, 2021 (traduit par André Gabastou)

Laura, la meilleure amie d'Olga Maria Trabanino ne se remet pas de l'assassinat d'icelle d'une balle dans la tête. Elle raconte, dans un très long monologue tout ce qu'elles ont vécu ensemble et découvre que son amie avait un jardin secret assez dense. Laura, incrédule, apprend qu'Olga Maria lui avait caché beaucoup de choses : son passé, ses turpitudes, ses vices...

Laura qui tient à ce que l'on ne ternisse point l'image de son amie refuse de parler aux policiers et se sent bientôt harcelée.

Dire que lorsqu'on ouvre un roman d'Horacio Castellanos Moya, on entre dans un livre plein de surprises est un euphémisme. De Le bal des vipères à La servante et le catcheur, en passant par Effondrement, pour les trois que j'ai lus, à chaque fois, je suis conquis. Cette fois-ci, après l'assassinat, c'est Laura, décrite fort justement en quatrième de couverture comme "cancanière, hystérique et jalouse" qui tient toutes les promesses de passer un excellent moment. Le livre est court (150 pages en version poche) et heureusement, car il est dense. C'est le discours d'une femme blessée qui au petit à petit va apprendre que son amie n'était peut-être pas la bonne épouse et commerçante qu'elle voyait tous les jours. Elle est inarrêtable, son flot est rapide, quasiment sans pause, elle passe du coq à l'âne comme on peut le faire dans une conversation, mais elle en artiste de haut vol. Heureusement, on peut faire des pauses pour ne pas se noyer, mais pour reprendre vite là où elle s'est arrêtée -si tant est que Laura s'arrête de parler lorsqu'on pose le livre, je la soupçonne de continuer.

C'est méchant, drôle, ironique, acide, d'une justesse incroyable : on se voit en face de Laura à l'écouter, enfin, à l'entendre serait plus précis. Horacio Castellanos Moya égratigne la classe politique sud-américaine des années 90 pourrie de l'intérieur tant par les luttes pour le pouvoir que par ses rapports avec les trafiquants de drogue et la bonne société salvadorienne des mêmes années qui ne pense qu'à consommer, à profiter de ses richesses sans voir la pauvreté qui l'entoure.

"Dieu du ciel, regarde les tronches de ces types. Et cet épouvantail, d'où sort-il ? regarde celle-là en minijupe, on dirait qu'elle vend de la cellulite. Les gens n'ont plus aucun sens du ridicule, ma belle ; la règle, c'est le laisser-aller. La plage était très belle : déserte, à marée basse. Ce qu'il y a de bien en semaine, c'est qu'il n'y a pas la populace. Le week-end, c'est insupportable : toute la racaille d'El Majahual envahit San Blas. Que des voleurs et des putains ! Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas clôturer la plage ; c'est ce que dit mon père. Quand on a sa maison en face de la mer, on doit supporter tous ces voyous qui passent leur temps à chercher quoi voler, qui attaquer." (p.83/84)

C'est tout du long comme cela : prévoir une grande inspiration avant d'entamer le livre, un peu comme lorsqu'on plonge dans l'eau -enfin, j'imagine, je ne plonge jamais, je ne sais pas nager-, et n'oubliez pas de remonter de temps en temps reprendre de l'air ; attention à l'ivresse des profondeurs.

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Z
Je le note. Il n'est pas à la bib, mais j'y ai trouvé un autre titre de cet auteur, La Mort d'Olga Maria
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Y
je ne conais pas celui-ci, mais les livres d'Horacio Castellanos Moya sont toujours une découverte
A
On sent que tu t'es régalé !
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Y
Oui c'est le cas, je n'aurais pas aimé assister en direct à ce monologue, mais le lire c'est un plaisir