La caverne vide
La caverne vide, Dimana Trankova, Intervalles, 2019 (traduit par Marie Vrinat-Nikolv)....
"Après la dislocation de l'Union Européenne, dans un pays des Balkans renommé Patrie populaire, le parti nationaliste au pouvoir a instauré un contrôle sectaire : les indésirables sont envoyés dans des camps de rééducation ou bien disparaissent sans laisser de traces, tandis qu'on dépose leurs enfants dans des "Maisons du bonheur". C'est dans cette société à peine futuriste que revient John, un journaliste américain, que son ex-femme a appelé à l'aide après la disparition de son frère. Mais John découvre aussi que Maya, une ancienne confrère et amante, a été punie pour ne pas avoir respecté la censure : on lui a enlevé sa fille. Maya vit, depuis, dans la soumission, avec un seul désir : récupérer sa fille en devenant une citoyenne exemplaire." (4ème de couverture)
Roman dense et troublant. Dense parce que l'auteure va au plus profond de ses personnages, et comme chacun peut être en totale opposition à l'autre, elle construit des situations nombreuses, des discussions, des débats sans fin, John notamment venant mettre à mal tout ce qui fait le quotidien des habitants de la Patrie populaire : soumission, censure, ... Difficile de n'y pas voir, le titre du roman est pour cela transparent, une référence à l'allégorie de la caverne de Platon, qui comme de bien entendu est un auteur subversif et interdit dans le pays. Pour l'avoir lu et s'en être inspiré, un philosophe est dans un camp de travail. La densité vient aussi évidemment du contexte ainsi que l'aspect troublant que j'évoquais plus haut. Là aussi, une référence est revendiquée et claire : 1984 de George Orwell. Tout y fait penser. Ce qui rend le récit de Dimana Trankova troublant c'est la proximité géographique et géopolitique. La montée de ce que l'on nomme couramment les populismes en Europe et plus généralement dans le monde fait craindre ce genre de dérives. Le monde que décrit l'auteure n'est peut-être pas si loin que cela. Sa dystopie nous parle directement de ce qui pourrait bien advenir si nous continuons à mettre au pouvoir des gens qui ne rêvent que de grandeur de leur patrie, de patriotisme, de nationalisme, de protectionnisme. Le flicage intensif en Chine qui se développe et fait craindre le pire est tout à fait dans l'ambiance de ce roman. Ambiance angoissante que l'on peut aussi retrouver dans l'excellente série Black mirror (au moins les deux premières saisons).
Si Dimana Trankova n'invente pas totalement le monde qu'elle décrit puisqu'elle s'inspire des meilleurs dans ce domaine, elle le raconte d'une manière très personnelle, il faut bien rester concentré, ce n'est pas un roman que l'on lit en écoutant de la musique par exemple. Ce serait long d'aborder tous les points dont traite l'auteure et sans doute pas suffisant pour dire tout le bien que je pense de ce livre, encore une fois dense, pour lequel il faut s'accrocher au début, mais la récompense est au bout, avec la sensation d'avoir lu une oeuvre forte et puissante. Un livre, des situations et des personnages qui resteront en mémoire longtemps.