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Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate

Publié le par Yv

Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate, Juan José Millás, Plon, 2018 (traduit par Hélène Harry)....

Damián Lobo, quarantenaire madrilène vient de perdre son emploi. Il vit isolé et parle seulement à Sergio O'Kane un présentateur télé, totalement imaginaire, son seul confident. En balade dans une galerie marchande, il chaparde une épingle à cravate siglée SO qu'il veut offrir à Sergio puisqu'elle a ses initiales. Damián y voit un signe. Pour échapper aux vigiles, il se réfugie chez un antiquaire dans une vieille armoire. Mais l'armoire est achetée et très vite livrée chez Lucia et Federico un couple gangrené par les habitudes et les soucis financiers. Damián bricole l'armoire et s'y installe, totalement invisible aux membres de la famille, le couple et sa fille adolescente. Bientôt, Damián sort lorsqu'il est seul, se met à ranger la maison, faire les tâches ménagères, préparer à manger. seule Lucia se pose des questions.

Étrange et un peu flippant lorsqu'on imagine qu'un homme vit calfeutré dans un placard d'une maison, qu'il y entend tout, se balade dans la journée et participe activement aux tâches ménagères. Ce ne serait que cela, ce serait bien, et je pense que beaucoup signeraient le contrat, heureux d'être débarrassés des corvées. Mais on se demande jusqu'où ira Damián. A priori, pas de mauvaises intentions, mais un homme qui parle à un ou plusieurs amis imaginaires tout en se cachant, ce n'est pas très rassurant.

Juan José Millás écrit une fable, une histoire barrée à la fois drôle et plus profonde qu'il n'y paraît. Elle questionne sur la vie moderne, la solitude, l'inactivité après la perte d'un emploi, le monde virtuel, Internet et les réseaux sociaux qui, pour certains les empêchent de vivre normalement dehors. J'entends normalement, sans portable, connexion, tablette, etc etc. Il y est aussi question de ce qu'on peut voir à la télé : Sergio O'Kane est, dans la tête de Damián présentateur d'une émission racoleuse, faite de confidence les plus inavouables pour faire monter les audiences. Mine de rien donc, le romancier espagnol critique assez férocement notre société actuelle dans laquelle malgré nos multiples connexions, nous n'avons jamais été aussi seuls. 

Son histoire est inquiétante, drôle parce qu'évidemment on rit de la situation et des remarques de Damián qui ne sait plus trop s'il est dans la réalité ou pas -nous non plus parfois, il faut faire l'effort de se replacer dans la tête du héros tant ses réflexions et sa vie cachée nous entraînent. Avec talent et humour, Juan José Millás rend ses situations crédibles, et le lecteur que je suis de s'imaginer -pas nécessairement de le souhaiter- un homme -ou une femme, je ne suis pas sexiste- dans un placard qui sortirait et se baladerait chez moi, ramassant ici une chaussette qui traîne, retapant là le canapé avachi... Rudement convaincant et bien fait ce roman qui jusqu'à la fin tient plus que ses promesses, moi qui le pensait être un joyeux divertissement uniquement. 

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M
J’ai eu peur que tu nous parles d’une autre version du fakir dans son armoire Ikea, mais ouf il n’en est rien ! De l’humour oui et de la reflexion en plus !
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Y
Je n'ai pas lu le fakir, je ne peux donc pas comparer.
M
Le titre déjà indique que l'auteur ne manque pas d'humour. Ma liste déborde et parfois maintenant je ne note plus que les auteurs au cas où je sois en manque dans les rayons de la médiathèque. merci pour ce partage
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Y
C'est une bonne stratégie, c'est aussi celle que j'adopte