Ce que tient ta main droite t'appartient
Ce que tient ta main droite t'appartient, Pascal Manoukian, Don Quichotte, 2017....,
Karim et Charlotte forment un jeune couple qui s'apprête accueillir son premier enfant. Quelques mois de grossesse encore. Charlotte souhaite un baptême œcuménique, aussi Karim, vaguement croyant doit-il rencontrer l'imam. Le soir de son rendez-vous, Charlotte sort avec ses deux copines pour faire la fête, Karim doit les rejoindre ensuite. Mais ce soir-là, à la terrasse du Zébu blanc, c'est le carnage, un converti à l'islam tire dans la foule au nom d'Allah. Peu de survivants. Pas Charlotte. Karim décide alors de partir pour la Syrie, de prendre le chemin qu'empruntent les terroristes-convertis, mais Karim le fait pour se venger.
Roman coup de poing, qui, malgré quelques maladresses -dont le titre auquel je ne m'habitue pas-, est très fort, ne peut laisser personne indifférent, révulse, énerve, attendrit, met en colère, ... tout cela simultanément ou consécutivement. Si je parle de maladresses, c'est que je trouve ça et là, plutôt au début du roman quelques facilités que je n'aime pas, des phrases toutes faites : "Gaziantep est l'une des plus vieilles cités du monde. Comme une putain, elle s'est laissé prendre au long de son histoire par le monde entier." (p.133) ou des références à des émissions de télés débiles (Les Chtis, les Anges, ou celles d'Hanouna) qui peuvent être gênantes pour les lecteurs qui ne les connaissent pas et qui datent ce roman ne lui permettant pas une intemporalité que j'aime retrouver dans les romans, qui leur insuffle une force supplémentaire tels Palestine de Hubert Haddad ou Les échoués, le précédent roman de Pascal Manoukian, pour n'en citer que deux. Je crains que lu dans quinze ans, ce roman ait pris un coup de vieux, alors qu'il a tout pour rester un roman fort à lire et relire, ce qui est le cas du premier roman de l'auteur.
Passées ces deux réserves, ce roman est tout sauf confortable, d'une puissance rare, il pousse à la réflexion et instruit. En effet, Pascal Manoukian, décrit les villes et pays que Karim traverse, expose leur histoire souvent très riche culturellement. Il ne tombe pas dans l'écueil facile de l'opposition binaire : les bons et les méchants. Evidemment, il ne fait pas l'apologie de Daech, il combat leur idéologie basée sur une certaine vision du Coran en citant lui même des extraits du livre : "Si vous vous vengez, que la vengeance ne dépasse pas l'offense", "Ne détestez rien, car ce que vous détestez pourrait faire votre bonheur" (p.281). Il s'oppose intelligemment en bâtissant son roman tel un journaliste qui veut réellement faire son travail : montrer aux gens la réalité. Il faudrait que chaque futur combattant de Daech lise ce roman pour comprendre ce qui l'attend. La réalité est terrible alors que les vidéos postées par l'organisation terroriste sur Internet vantent une espèce de paradis, de monde idéal.
Le romancier décrit très bien le parcours d'un jeune tenté par l'aventure, l'embrigadement, le lavage de cerveau, l'entraînement et les humiliations jusqu'au dernier geste. Il n'aligne pas les lieux communs mais oblige à la réflexion et explique comment certains en sont venus à prôner une guerre sainte, il remonte à la première guerre mondiale, au génocide des Arméniens par la Turquie. Il parle aussi de la perte de confiance dans les médias traditionnels et d'Internet : "On leur raconte tellement de conneries à la télévision qu'ils ne croient plus qu'en Internet." (p.206), ne prenant même pas le temps de décoder les informations, prenant tout pour argent comptant.
Encore une fois avec un thème douloureux, Pascal Manoukian réussit un excellent roman, un de ces livres dont on se dit en le posant qu'il restera longtemps en nous et qu'on le conseillera à tous ceux qui aiment lire autour de nous et même aux autres.