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Quand nous étions des ombres

Publié le par Yv

Quand nous étions des ombres, Mikaël Hirsch, Intervalles, 2016.....

Un nègre littéraire se retrouve au fin fond du Honduras, dans une grande maison en ruines, entouré d'Indiens miskitos qui le prennent pour un démon, un fantôme. Il raconte l'histoire qui l'a amené jusqu'ici. Écrivain à un unique best-seller il devient l'accoucheur des stars éphémères, n'a pas son égal pour faire de leurs pauvres vies des livres qui se vendent. Puis, il rencontre François Sauval, un capitaine d'industrie en mal de reconnaissance qui veut accumuler les records en tout genre.

Puis, d'autres chapitres sont consacrés à a tribu des Charahuales, chassée des ses terres depuis des siècles, qui erre et diminue dangereusement jusqu'à sa probable disparition. Sa culture et sa langue disparaitront avec elle. Est-il encore possible de sauver cette petite part du patrimoine humain sur terre ?

Un roman a double entrée : d'abord celle du scribe de François Sauval chargé de noter tous ses exploits, de le suivre à chaque instant de sa vie pour transcrire ses faits et gestes. François Sauval vise à l'éternité et veut à défaut de vivre éternellement qu'on se souvienne de lui longtemps. Ensuite, l'histoire de la tribu des Charahuales, chassée de ses terres et dont la langue sera transcrite par un prêtre alors qu'elle est déjà quasi décimée, puis d'autres passionnés de linguistique interviendront pour tenter de la sauver.

Comme à chaque fois que je lis un roman de MIkaël Hirsch, je note quasiment toutes les pages, tant je suis sous le charme de son écriture. Cette fois-ci, il écrit sur l'effacement de soi. Jusqu'où l'homme peut-il renoncer à être lui-même pour survivre ? Jusqu'à quel prix est-il capable de se vendre pour s'oublier ? Notre société étant de consommation à outrance, tout est régi par l'argent, le pouvoir d'achat, les signes extérieurs de bonne santé financière. Le narrateur s'enfonce, lui, de plus en plus dans le renoncement de soi qu'il cultivait déjà avant sa rencontre avec François Sauval : "Une fois passées les premières décennies, tout ce qui constitue sa propre personnalité finit par lasser prodigieusement. Je m'étais beaucoup ennuyé en ma propre compagnie, traînant un corps usé dont personne ne voulait plus et une conscience d'occasion. Lorsque l'accablement s'installe, on cesse d'être un objet de désir pour qui que ce soi." (p.11) Dit comme cela, cette partie du roman pourrait paraître déprimante, or elle ne l'est pas car -nouveauté chez le romancier- l'humour, l'ironie ou la dérision sont assez présents, : "A la mort de mon père, j'emportai avec moi tout le legs familial, cinquante-trois boîtes de Doliprane qui occupaient la totalité de l'armoire à pharmacie et qui constituaient la dernière valeur disponible dans l'appartement presque vide.(...) Pendant les années qui suivirent, à chaque nouvelle migraine, je prenais un cachet en me disant que je dilapidais sottement l'héritage paternel (...) jusqu'au jour où il ne resta plus rien. (...) Ce jour-là seulement, je fus orphelin." (p.47/48). Dans cette même partie, le narrateur est en totale opposition avec François Sauval, qui lui, veut laisser une trace, accéder à la toute puissance, son argent qu'il dilapide sans compter dans ce but unique devra l'y mener. Il ne doute pas, avance, écrase tout ce qui le gêne : l'ambition ultime, suprême contre l'abandon, l'effacement.

Mikaël Hirsch écrit aussi sur la disparition d'un peuple, de sa culture et surtout de sa langue. Il remonte le temps pour en raconter l'histoire et commence par ses légendes : le serpent noir du commencement donne naissance à des jumeaux, Sue et Chia. "Sue, le soleil, tira une flèche dans l'œil de son frère Chia, qui fut condamné à errer dans le ciel et devint l'étoile du matin. Sue se baigna ensuite dans l'eau douce, Uma, et son reflet engendra les ombres qui peuplèrent immédiatement la terre. Les ombres étaient libres d'aller et venir, glissant sur le sol." (p.22) Quand nous étions des ombres -nsut nani aakarka, dans la langue qui disparaît- est un propos qui revient dans la bouche des anciens ; quand nous étions forts... ou quand nous étions, tout simplement..

Le roman de Mikaël Hirsch est beau, fort et puissant par ce qu'il raconte et oppose avec brio. Il est dense, le romancier excellant dans l'art de condenser en 180 pages ce que d'autres écriraient en 500. Il est intelligent, érudit sans être pédant. Un ouvrage de grande qualité, d'une maîtrise totale, époustouflant. J'ai la sensation que l'écrivain se lâche un peu -et ça lui va bien-, qu'il ose beaucoup plus que dans ses romans précédents qui, tout en étant très bons, étaient un peu plus "retenus". L'humour en est une preuve, mais ce n'est pas la seule.

Comme à chaque fois que j'ai très envie que vous découvriez un roman que j'ai adoré, j'ai le sentiment d'avoir écrit un billet brouillon, tant pis, si vous en retenez qu'une chose eh bien retenez de lire Mikaël Hirsch absolument. Vous ne lirez pas l'un de ces romans "habituels" de la rentrée littéraire. Non , vous aurez de l'originalité, de l'intelligence et une langue sublime, des phrases d'artisan-écrivain -mais au moins un Meilleur Ouvrier de France-, de la belle ouvrage. Un grand romancier. Un grand livre.

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L
Okay, okay, je le note. D'abord parce que je ne connais pas cet auteur dont tu parles si bien et surtout parce qu'on y parle d'indiens.<br /> Le Papou
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Y
Et pourtant, je parle de Mikaël Hirsch depuis longtemps...;)
S
Génial, le coup du Doliprane! ;-)
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Y
Et oui, j'ai trouvé ça excellent aussi
Z
Je suis d'accord avec toi. Faudrait que j'achète ce livre
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Y
celui-ci oui, car c'est le genre qu'on garde dans sa bibliothèque...
A
Ah oui, tiens ? Et un Meilleur Ouvrier de France en littérature ?
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Y
je crois que je viens de créer un nouveau titre