Les contes défaits
Les contes défaits, Oscar Lalo, Belfond, 2016.....
Un enfant est envoyé pendant toutes les vacances, dès son plus jeune âge dans une colonie, le Home d'enfants. Là, pris en charge par une équipe de moniteurs et surtout par le directeur et sa femme, la véritable dirigeante du lieu, il est soumis comme tous les autres enfants à différentes brimades. Celles qui concernent les repas, le coucher, le lavage. Tout doit se faire vite, au pas de course. Et puis, il y a aussi l'indicible, ce qui par définition ne sera jamais révélé et qui hantera et/ou détruira la vie des petits garçons du groupe. Le directeur se rapproche des garçons. Très près. Trop près. Et tout le monde de fermer les yeux, même les enfants devenus moniteurs. C'est cet enfant, devenu adulte qui raconte ses années au home.
"Les contes défaits est un livre délicat. A écrire, et sans doute à lire." Ainsi, est écrite la dédicace que m'a faite Oscar Lalo. Délicat, certes, mais quelle claque ! "On croyait que notre mère savait tout et ne tarderait pas à apparaître, elle qui nous disait si souvent : "Une maman ça voit tout." Non. Et l'homme le savait. Il lui suffisait de faire bonne figure à la gare. Son innocence naturelle séduisait. Les Thénardiers ne ressemblent jamais aux Thénardiers. (...) Parfois, la main de l'homme s'appropriait l'un d'entre nous en lui caressant les cheveux, l'épaule ou la jambe. Sensation d'isolement quand cela se produisait. Nous nous demandions où était son autre main. Nous nous demandions où était celle de notre mère." (p.21/23) Tout est écrit comme cela, rien n'est dit et tout est compris aisément. Les mots peuvent être inventés, néologismes si besoin est, les jeux de mots servent le texte -comme le titre par exemple (dans le même genre, mais beaucoup plus léger, j'aime bien la chanson de Dyonisos, Tes lacets sont des fées). Les chapitres sont courts, très courts. Les phrases itou. Parfois un mot, un seul. Pas de superflu Oscar Lalo va droit au but même s'il prend des chemins détournés puisque les agressions ne sont jamais décrites, juste suggérées. C'est ce qui est fort et paradoxal : comment peut-on aller au plus profond, directement, sans fioriture, sans jamais tomber dans des descriptions ou des énoncés clairs et nets ? Comment aller au plus direct en prenant des chemins détournés ? C'est là, tout le talent de l'auteur dans son premier roman.
Un livre fort et prenant que je n'ai pas pu lâcher de la journée. On dirait presque un témoignage -et je déteste le genre, mais pas là-, puisque le roman est écrit à la première personne, mais pas un truc trash, voyeur et dégueulasse -voilà, c'est ça que je hais-, non, un roman dur et poétique, un thème particulièrement difficile et particulièrement bien abordé et traité. J'aurais pu citer moult extraits tant ils sont marquants : "En groupe, on se partageait la solitude. Quand un enfant avait les yeux dans le vide, c'est que l'homme était passé par lui. Un jour ou l'autre. Dans les couloirs du home, nous étions disponibles sans recours. A sa merci. Nous le savions." (p.85)
J'en fais l'un de mes coups de cœur, même si j'ai trouvé la quatrième et ultime partie un peu longue, moins percutante que les précédentes. Ne vous éloignez pas de ce roman à cause du thème abordé et de sa violence contenue, vous passeriez à côté d'un excellent roman.