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La brigade du rire

Publié le par Yv

La brigade du rire, Gérard Mordillat, Albin Michel, 2015....

Pierre Ramut est éditorialiste à Valeurs françaises, un journal néo-libéral, réactionnaire, toujours du côté du capitalisme voire même à lui demander d'aller encore plus loin. Pierre Ramut en est le fer de lance, ses éditos sont violents contre les ouvriers, les travailleurs français qui, selon lui, devraient revenir sur leurs acquis. Lorsque Kol, Dylan, L'enfant-Loup, Zac, Hurel et Rousseau copains d'enfance se retrouvent, trente ans ont passé, mais ils ont toujours leurs convictions de jeunes hommes révoltés et d'indignés ancrées en eux, et les éditos de Ramut les écœurent. Autour d'un repas arrosé, en compagnie de certaines de leurs compagnes Dorith, Muriel Suzanna,Victoria, ils décident d'enlever Ramut et de l'obliger à travailler comme un ouvrier, rythme, cadence et paye. La joyeuse bande se baptise La brigade du rire.

La belle équipe que voilà. Je ne sais pas si je les aurais suivi, sans doute trop modéré, même si selon Kol qui a sûrement raison, "se dire "modéré", c'est se trouver une bonne excuse pour ne rien faire." (p.363), mais j'aurais aimé les connaître. Ma seule angoisse dans ce bouquin fut de craindre qu'ils ne puissent aller au bout de leur action et qu'ils se fassent piquer, mais bien évidemment, je ne dirai rien là-dessus... Et de me prendre à rêver d'enfermer et d'obliger à travailler ceux qui ont de belles théories sur tout et ne connaissent rien de la vie à 1000 euros par mois, se permettent de critiquer les ouvriers et leurs avantages acquis sur lesquels ils ne veulent pas revenir pendant qu'eux-mêmes se payent des bagnoles ou des montres qui valent plus d'un an de salaire d'un smicard. Et de noter dans un coin de ma tête des noms de personnes à kidnapper et mettre face à la réalité, je crois même trouver des complices assez facilement. Ah, putain, ça fait du bien, au moins d'y penser...

Gérad Mordillat y va fort, il développe ses idées, ses convictions déjà superbement mises en mots dans Les vivants et les morts.

"Kol s'interrompit un instant au souvenir des saloperies de Ramut et de ses semblables éditorialistes, pseudo-philosophes, politologues, journalistes, experts en tout et n'importe quoi. Pour eux, l'affaire était entendue : la classe ouvrière n'était plus qu'une bande d'abrutis, incultes, illettrés, tout juste bons à lire les titres de journaux gratuits et à faire des mots-fléchés, hypnotisés par le foot à la télé. Mais surtout leur abrutissement, leur alcoolisme, leur dégénérescence en faisaient une armée de réserve pour l'extrême droite dont ils partageaient le machisme, le racisme, le nationalisme et l'antisémitisme." (p.363)

Et ça fait du bien car les romans mettent assez rarement en scène des personnages simples, des gens de "la France d'en bas" comme disait un politique il y a quelques années -une manière de snober (pour ne pas dire mépriser) cette France-là. La brigade du rire est attachante, tous ses membres avec leurs défauts, leurs vies parfois cabossées, leurs amour compliquées ou pas, leurs boulots quand ils en ont, le sont également individuellement. C'est cela qui est bien dans ce roman aussi, Gérard Mordillat s'intéresse à tous et à leurs proches, par exemple, Betty une ex-collègue et ex-amante de Kol, qui se promène dans ce roman sans croiser aucun des protagonistes mais qui est là jusqu'au final. Il construit son roman très habilement et ce qui pourrait paraître irréaliste est en fait crédible, ce n'est pas forcément une simple utopie (enfin utopie pour les kidnappeurs, parce que pour Ramut, c'est plutôt l'enfer).

C'est un très beau roman, qui donne envie de se révolter, de montrer à tous ceux qui théorisent que leur cynisme -ce qu'ils appellent pragmatisme- fait souffrir des hommes et des femmes. Mais ce roman est également drôle, bourré de références cinématographiques, littéraires, de blagues potaches. Il n'est absolument pas plombant, et c'est le sourire aux lèvres qu'on avale les 516 pages -il faut bien cela pour savoir comment tous évoluent. Comme quoi, la révolution -qui s'annonce- peut être joyeuse.

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D
Rebonjour Yv, malgré l'avis négatif d'Aifelle, je l'ai noté depuis un moment car le résumé m'a donné envie. Bonne après-midi.
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Y
Bonjour Dasola<br /> Mordillat on aime ou pas, c'est assez rarement mièvre. Moi j'aime.<br /> A bientôt
A
Une révolution joyeuse ? N'est-ce pas une belle utopie ?
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Y
Certes, le mieux serait que ce ne soit pas une utopie
A
Ce fut une déception pour moi, j'en attendais davantage. Et je ne me suis attachée à aucun personnage. Dommage, l'idée de départ est vraiment excellente.
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Y
Très bonne idée qui peut parfois traîner un peu en longueur mais sans doute l'enlèvement le fait-il aussi. Dommage que tu sois passée à côté
N
Vu chez Krol, tu en rajoutes une couche !
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G
Complètement d'accord avec toi. J'avais beaucoup aimé cette histoire, et je trouve que la dénonciation des injustices passe mieux avec de l'humour!
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Y
Beaucoup de messages passent avec l'humour, le désormais célèbre : "peut-on rire de tout ?"
K
Et hop noté (il est à la bibli!)
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Y
Tant mieux, bonne lecture
K
Oh mais là tu donnes envie! J'avais lu un pavé de l'auteur, lui aussi parlant de ces ouvriers peu présents dans les romans, finalement.
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Y
Les vivants et les morts, c'est peut-être le titre que tu cherches, c'est un pavé dur qui m'avait beaucoup plu
B
Ah ! Très belle chronique qui donne envie et qui me fait penser à ce que vous savez et à la suite, qui arrive dans quelques semaines.<br /> Merci, je le mets dans ma PAL. <br /> Céline Barré
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Y
En général, pas de mauvaise surprise avec Mordillat, ses personnages sont humains, presque réels.<br /> A bientôt