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Giboulées de soleil

Publié le par Yv

Giboulées de soleil, Lenka Horňáková-Civade, Alma éditeur, 2016....

Quatre femmes, tchèques liées par le sang. Marie d'abord, mère-célibataire dans les années d'avant la guerre, sa fille Magdalena vivra l'annexion nazie et sera la première d'une série de filles nées de père inconnu. Suivra Libuše, sa fille qui connaîtra les années communistes, les chars dans Prague. Puis Eva, fille de Libuše, née en 1969, qui verra la fin de l'hégémonie soviétique, le début d'une nouvelle vie. Chacune vit sa situation de bâtarde difficilement, le regard, les moqueries, la haine et la jalousie des autres pour leur liberté et leur beauté qui attirent et gênent.

Lenka Horňáková-Civade est née en Moravie, elle s'est installée en France au début des années 1990 et écrit ce premier roman en français, sa langue d'adoption. C'est un hommage aux femmes de son pays de naissance, aux femmes en général, qui bien que rarement mises en avant sont celles qui font bouger les hommes, celles qui portent l'espoir. On a coutume de dire en parlant de ce genre de roman que ce sont de beaux portraits de femmes ; c'est parfois vrai, parfois un brin usurpé, mais là, franchement, quels beaux portraits de femmes ! Fortes, solides dans les épreuves et elles en traversent, à elles quatre à peu près tout ce que peuvent vivre les femmes en règle générale : amour, désir, sensualité, mais aussi les coups, la haine, la jalousie, le viol ; les hommes n'aiment pas les femmes libres en Tchécoslovaquie à l'époque (et sûrement ailleurs aussi). L'auteure décrit plutôt la campagne que la ville, là où elle se sont réfugiées pour espérer une vie plus calme, mais les temps violents du vingtième siècle viendront troubler leur désir de tranquillité.

Marie, la mère, puis grand-mère et arrière grand-mère est forte. C'est le pilier de la lignée, celle qui tente de ne jamais déroger à son principe de liberté, malgré les difficultés et les regards méprisants. Magdalena et Libuše profiteront, au moins au début de leur vie, des leçons de leur mère et grand-mère. Libres elles sont, libres elles tenteront de rester, ce qui ne sera pas facile. Eva bénéficiera d'une période plus clémente, 20 ans en 1989, à la chute du Mur.

Ce roman est aussi un très bon moyen de se remettre en mémoire toutes ces périodes du siècle passé, vues par ceux qui les ont subies. C'est toujours intéressant de savoir comment l'on pouvait vivre quotidiennement sous les différents régimes, nazis ou communistes, les compromissions des uns pour avoir une vie meilleure, du pouvoir, les refus des autres de mettre le doigt dans un engrenage d'un mécanisme qui les broierait sans état d'âme.

Un très bon premier roman, que je conseille aux femmes et aux hommes (même si nous n'avons pas le beau rôle). Écriture vive, vivante, qui détaille les rapports humains, qui parfois d'une simple phrase en dit beaucoup plus qu'un long discours : "Je hais ma mère profondément à ce moment-là, d'autant plus qu'elle m'est indispensable (...) Je hais ma mère autant que je l'aime." (p.116). Elle est rapide, va droit au but : "Secouée par une contraction interminable, je cherche des yeux le visage de ma mère. Je veux qu'elle voie dans les miens la peur, la douleur, l'angoisse. Je ne peux pas lui dire. J'ai peur qu'elle ne m'écoute pas. En la regardant, j'espère qu'elle m'entendra. Dans ses yeux à elle, quelle horreur ! Je vois la peur, la douleur, l'angoisse. Je ferme les yeux. Il n'y a pas d'espoir. Je ne verrai pas la réconciliation, l'amour, la douceur. Pa s de place pour cela." (p.63)

Vraiment, vraiment, je vous conseille de voyage dans le temps et en République Tchèque. Lenka Horňáková-Civade est également peintre, je verrai avec plaisir son travail.

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H
Écrite en français par une romancière tchèque (chapeau !), la saga de ces remarquables femmes s'inscrit fort judicieusement dans les cinquante années de l'histoire de la Tchécoslovaquie qu'elles traversent. Ce fond historique, si important dans la destinée des « bâtardes », est subtilement et clairement évoqué, ni trop, ni trop peu, et toujours rapporté au contexte du roman. Quant aux femmes, elles sont toutes magnifiques et magnifiées par l'écriture. Je trouve qu'elles se ressemblent dans leur volonté de vivre et de survivre malgré tout, malgré la « malédiction » qui les frappe toutes. Mais chacune d'elle est aussi singulière, et l'auteure a su déjouer le piège qui en aurait fait de l'une le clone des autres. Chaque femme est l'héroïne de son propre roman. Chacune a sa vie, sa personnalité, ses rêves, ses lubies, son parler. Les lieux, les évènements, les autres personnages, les relations, les interactions entre eux sont autant de réussites. L'intrigue est toujours là, les événements toujours tapis dans les pages à venir ; il y a une forme de suspense qui donne envie. le style est vivant, travaillé sans être trop recherché, trop apprêté. On y manie aussi parfois l'humour et la dérision. Au fond, rien n'est irrémédiablement tragique, même les plus sombres moments. C'est un texte, malgré les embûches de la vie, délibérément optimiste, à la gloire de la Femme bâtarde, une différence qui, grâce à l'auteure, devient une… « distinction » ! Enfin, les dialogues sont très réussis. Bref, c'est, de mon point de vue, un magnifique roman qui, je l'espère, connaîtra un succès mérité. Je suis épaté par le maniement de notre langue dans ses plus intimes nuances.
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Y
Bonjour Henri et merci de votre passage, je vous rejoins sur ce livre qui m'a laissé un très bon souvenir tant dans la langue que dans les portraits de femmes.<br /> Bien à vous,
A
Quel beau titre !
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Y
Oui effectivement
C
AIfelle ayant apprécié mais avec des bémols importants ( qui pourraient me gêner), je ne sais pas.
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Y
effectivement, je me suis laissé embarqué, même si je vois bien qu'ici ou là certaines remarques d'Aifelle me posent quastion
G
Entre Aifelle et toi, une petite discordance. Comme Keisha, si je le trouve à la médiathèque, je me laisserai tenter.
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Y
oui, mais globalement, Aifelle a aimé aussi.
K
Bon, éventuellement (toujours tributaire de la médiathèque, ce qui évite d'alourdir les étagères, finalement)
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Y
Vive les médiathèques
A
J'ai été moins emballée que toi, tu le sais ; je suis d'accord sur la période historique, ce sont les personnages de femmes que j'ai eu du mal à saisir, j'aurais aimé plus d'approfondissement. Je ne savais pas que l'auteure était également peintre.
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Y
J'ai relu le commentaire d'Aifelle et elle a lu ce livre, mais parfois, il araive qu'une histoire parle aux uns et pas aux autres
D
Aifelle, tu n'as pas lu ce livre et ça se sent dans tes commentaires, je suis un homme et j'ai lu ce livre comme un bonbon !
Y
moi, je me suis lissé embarquer dans ce roman très féminin, comme quoi il plaît aux hommes