Livre sans photographies
Livre sans photographies, Sergueï Chargounov, La Différence, 2015, (traduit par Julia Chardavoine), dessins de Vadim Korniloff...
Sergueï Chargounov est né à Moscou en 1980. Fils de pope, il vivra les début de la perestroïka, encore enfant, puis la chute du Mur de Berlin et le délitement de l'URSS. Anticommuniste, il ne fera pas partie des "enfants d'octobre" qui portent la cravate rouge, il se tourne vers le journalisme et l'écriture ainsi que vers la politique. Il tentera même d'être élu député à la tête d'un mouvement de jeunes révoltés qu'il crée, mais brisé par les répressions du gouvernement de Poutine, il est contraint d'abandonner. Il part alors sur les routes de la Russie oubliée, mais aussi couvrir les conflits Tchétchènes et Ossètes.
Sergueï Chargounov est lié à Zakhar Prilepine : ils sont tous les deux opposants de Poutine, et écrivent dans le même journal en ligne. Ils sont également tous deux écrivains. Mais là ou Zakhar Prilepine est direct voire parfois violent dans ses propos, Sergueï Chargounov est beaucoup plus calme. Il dénonce lui aussi les méthodes du président russe actuel, mais de manière moins directe, néanmoins, les concernés comprennent puisqu'ils le menacent au point qu'il ne peut se présenter aux élections et qu'il a ensuite du mal à trouver du travail en tant que journaliste, son nom étant mis sur liste noire.
Je dois dire que la première partie sur l'enfance de Sergueï m'a paru un peu longue. Pas inintéressant, non, un fils de pope au temps du communisme et de la perestroïka, ce n'est pas banal, mais ça traîne un peu en longueur. Ce livre est une suite de chroniques ou de nouvelles qui se suivent chronologiquement et lorsque Sergueï commence à parler de sa famille élargie, sa grand-mère et son oncle Kolia Bolbass, je recolle au récit, tellement ces personnes ont marqué l'écrivain. Et puis, ensuite, c'est l'entrée en politique et la répression, la maladie de son fils et les guerres qu'il couvrira en tant que journaliste. Tout cela se mêle comme dans sa vie, tout arrive en même temps. Je disais que la première partie m'avait paru longue, en fait le style de S. Chargounov ne s'imprimait pas en moi, sans doute parce que je m'attendais à plus fort, un peu comme Z. Prilepine. Il m'a fallu persévérer (merci Colette) pour comprendre que Sergueï Chargounov, tout en dénonçant les mêmes choses, le faisait sur un autre mode, celui de la confession : son livre est plus intime, plus doux, plus apaisé (bon, d'accord moins que Z. Prilepine, c'est compliqué). Au final, ils se complètent parfaitement et en lisant les deux, on comprendra mieux la Russie de maintenant, non pas celle que nous avons en tête, l'âme slave et tout ce qui va avec, le souffle de l'aventure, les grands espaces, les héros de littérature, ... Non, celle des petites gens abandonnées par le pouvoir, celle des coins les plus reculés à la fois éloignés des conflits des puissants de la capitale mais très au courant quand même, celle des gens qui doivent se battre pour vivre, plus parfois qu'au temps de l'URSS. Finalement tout a changé dans ce pays : la doctrine, le libéralisme a remplacé le communisme les dirigeants - encore que V. Poutine était du KGB, ..., mais rien n'a changé : les puissants sont toujours autoritaires et leurs amis bénéficient d'avantages alors que leurs opposants doivent faire profil bas sous peine de sanctions et d'intimidations.
Belle idée de la part des éditions de La Différence que de traduire ces deux écrivains russes qui parlent de la vie quotidienne en Russie et de les publier tous les deux.