Kuessipan
Kuessipan, Naomi Fontaine, Le serpent à plumes, août 2015...,
"Kuessipan est le récit des femmes indiennes. Autant de femmes, autant de courages, de luttes, autant d'espoirs. Dans la réserve innue de Uashat, les femmes sont mères à quinze ans et veuves à trente. Des hommes, il ne reste que les nouveaux-nés qu'elles portent et les vieux qui se réunissent pour évoquer le passé. Alors ce sont elles qui se battent pour bâtir l'avenir de leur peuple, pour forger jour après jour leur culture, leur identité propre, indienne." (4ème de couverture)
Premier roman de Naomi Fontaine qui raconte son peuple, son enfance dans la réserve canadienne des Innus. Kuessipan qui en innu, signifie "à toi" ou "à ton tour" est publié au Canada en 2011 par Mémoire d'encrier.
L'ouvrage se présente comme une suite de tous petits textes, les plus longs font cinq pages et les plus courts une demie-page. Le livre est très court, à peine plus de cent pages, qui se lisent en prenant son temps. D'abord pour bien saisir et relier l'ensemble car c'est le lecteur qui fait le travail de boucher les trous : Naomi Fontaine va à l'essentiel, son texte est épuré, tout est dit mais il faut parfois deviner, faire appel à ses connaissances pour que tout se mette en place, c'est du moins comme cela que j'ai lu ce livre, et j'ai trouvé que c'était une démarche très agréable, je ne suis pas resté passif mais j'ai participé activement à ma lecture grâce à l'intelligence que me prête l'auteure -bon, parfois, je dois bien avouer qu'elle m'en a prêté un peu trop et que j'étais perdu. Ensuite, parce qu'il peut être bon de ne pas tout le lire d'un coup, profiter d'un temps d'infusion avant de s'y replonger : c'est un livre qui doit se déguster et qui agit encore après qu'il soit fini. Et enfin, parce que le lire trop vite serait une offense faite à la qualité de l'écriture. Les textes les plus longs sont descriptifs, s'attardent sur les lieux, les personnages, jamais nommés sauf par leur fonction (grand-mère, mère, ...), les conditions de vie ; les textes plus courts sont plus introspectifs, plus forts, parfois il faut les lire comme de la poésie en prose, ce sont ceux qui m'ont le plus touché.
On sent dans le roman de Naomi Fontaine tout l'amour qu'elle a pour son peuple malgré les ravages de l'alcool et de la drogue parmi les hommes ; les femmes en sont la fierté, la clef de voûte, elles sont dignes et respectables bien que leurs conditions de vie soient particulièrement difficiles.
La force de ce livre, c'est que malgré un format court, un style épuré, l'auteure réussit à faire passer les émotions et les sentiments, elle en fait naître également. Pour finir, je citerai juste l'un des passages qui m'a le plus emballé, espérant qu'il en sera de même pour tous les lecteurs :
"Pourquoi. La nuit, elle dort d'un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur de sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu'un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.
Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.
Le silence. Je voudrais écrire le silence." (p.15)