Ciel d'acier
Ciel d'acier, Michel Moutot, Éd. Arléa, 2015....,
John LaLiberté est un Indien, un Mohawk du Canada. Il est ironworker, comme beaucoup d'Indiens, il monte les structures d'acier des gratte-ciels, il travaille en très grande hauteur, comme son père qui fit partie des équipes qui construisirent les Twins Towers. Justement, en septembre 2001, John travaille à New York et dès l'effondrement des tours, il se propose avec d'autres Mohawks d'aider à déblayer les décombres. Il travaillera 9 mois sur ce chantier.
Depuis le début du XX° siècle, les Mohawks sont réputés être d'excellents ouvriers, les meilleurs pour les constructions métalliques. Du Québec bridge qui s'écroula avant la fin de sa construction en 1907, en passant par l'érection des Twin Towers et leur effondrement, puis la construction de la Tour de la Liberté en lieu et place du World Trade Center, ce sont plus de cent ans d'histoire de la construction des États-Unis que Michel Moutot nous raconte.
Formidable roman bien qu'un peu long qui mêle l'histoire réelle des Indiens mohawks à la fiction des personnages créés par l'auteur. On suit simultanément trois chantiers, celui du Pont de Québec qui s'écroula en 1907 et qui vit s'installer la légende des Mohawks qui se jouent du vide et du vertige. Manish Rochelle est l'un deux qui tente de dénoncer la qualité de la construction et paiera cher pour cela. Puis, la construction des tour jumelles en 1968 sur lesquelles travaille Jack LaLiberté, dit Tool, qui sera le seul ouvrier mort sur ce chantier en 1970. Puis, 2001, et John LaLiberté travaille sur les décombres de ce que construisit son père, cherchant des survivants. Il faut ajouter à cela, la vie des Indiens, leurs habitudes, leurs coutumes, les vies sentimentales de Manish et de John compliquées parce qu'en dehors des codes indiens -surtout pour Manish, en 1907. Vous obtenez un roman dense, absolument captivant, le genre de livre que vous ne lâchez plus, que vous trimbalez partout avec vous, même si son volume et son poids peuvent dissuader de le mettre dans un petit sac à main (523 pages, un peu plus de 4 centimètres d'épaisseur, j'ai mesuré, c'est d'ailleurs mon seul bémol, des longueurs, des répétitions et beaucoup trop de détails techniques parfois encombrants et inutiles).
Ce qui est formidable, c'est que tout s'emboîte parfaitement dans la construction du roman, à savoir comment l'érection et l'effondrement du pont de Québec amèneront d'autres constructions dans lesquelles les Mohawks prendront une grande part, notamment les tours jumelles qui s'effondreront elles aussi. Ce serait un peu facile de dire que Michel Moutot bâtit son livre comme on construit un bâtiment, alors, évidemment, je ne le dis pas.
J'ai aimé la manière dont s'imbriquent les différentes histoires réelles et fictives donnant un évident air épique à ce roman. C'est quasiment un roman d'aventures dans lequel les Mohawks racontent leur fierté d'appartenir à un peuple de bâtisseurs, reconnu comme tel. Je suis persuadé que la fiction est un formidable moyen de faire passer des idées, des informations, et Michel Moutot ne s'en prive pas : la vie des Mohawks, l'enfer de l'effondrement des tours jumelles et celui du déblaiement qui occasionnera beaucoup de maladies voire des morts parce que les sauveteurs n'étaient pas suffisamment informés et protégés contre la pollution, les émanations des matériaux de construction pas toujours sains et la propagation des divers produits entreposés dans les sous-sols ou les étages, ... mais aussi la solidarité rapide des Etasuniens qui se mobilisent pour aider, offrir à manger, à boire, des vêtements, ou encore les malfrats qui profitent des conditions terribles pour piller.
Michel Moutot est journaliste à l'AFP, lauréat du Prix Hachette en 2001 pour sa couverture des attentats du 11 septembre 2001 ; il ose ici un roman pas facile basé sur une tragédie encore en mémoire, et finement, subtilement il réussit son pari, celui d'écrire le roman du post-11-septembre vécu par les gens ordinaires, les habitants de New York, ceux qui ont été tous les jours confrontés au vide laissé l'effondrement des tours et ceux qui ont dû continuer à vivre en ayant perdu l'un ou plusieurs des leurs, des amis, des collègues.