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Une si longue lettre

Publié le par Yv

Une si longue lettre, Mariama Bâ, Ed. Le serpent à plumes, 2001 (Les nouvelles éditions africaines du Sénégal, 1979)....

Modou, le mari de Ramatoulaye Bâ vient de mourir. Quelques années auparavant, après vingt-cinq ans de mariage et douze enfants, il avait pris une seconde épouse de l’âge de sa fille aînée, délaissant Ramatoulaye et ses enfants. C’est cela que raconte Ramatoulaye dans cette longue lettre à son amie Aïssatou, partie du pays lorsque son mari avait fait la même chose. Mais dans cette lettre, il est aussi question de la condition des femmes au Sénégal, des mariages forcés, de leur absence de droits

L’an dernier, en classe de seconde, mon fils a étudié ce livre. Je lui avais dit que je le lirai et puis, les autres livres venant, j’ai reculé et oublié. Et puis, cette année (bon en fait, techniquement, ce sera l’an prochain, puisqu’en janvier) pour la prochaine rencontre du club de lecture de la bibliothèque, le thème est les auteures africaines, et cette longue lettre est dans la liste. Ni une ni deux, je fonce dans la chambre du fiston et je lui pique son bouquin dans lequel je me plonge. Un peu laborieux au départ, j’avoue n’avoir commencé à aimer qu’au bout d’un certain nombre de pages et que d’autres ont été survolées. Mais malgré cela, c’est un livre fort qui va droit au but et dit clairement l’absence de droits des femmes, leur obligation de se soumettre à l’autorité masculine, leur mise à l’écart lorsqu’elles osent dire non, les mariages forcés, la polygamie. Certaines, de la génération de Ramatoulaye, se rebellent, "Car, premières pionnières de la promotion de la femme africaine, nous étions peu nombreuses. Des hommes nous taxaient d’écervelées. D’autres nous désignaient comme des diablesses. Mais beaucoup voulaient nous posséder. Combien de rêves avions-nous alimentés désespérément, qui auraient pu se concrétiser en bonheur durable et que nous avons déçus pour en embrasser d’autres qui ont piteusement éclaté comme bulles de savon, nous laissant la main vide ?" (p.36)

Cette lettre fait aussi le point sur les différentes classes sociales, sur ce que sont prêtes à faire certaines femmes pour monter dans la société : véritablement vendre leurs filles à des hommes plus âgés et riches bénéficiant d’une position sociale enviable, elles deviendront des co-épouses, leurs mères accédant ainsi à une vie plus facile : maison, nourriture, argent, … Elles joueront leurs cartes au détriment de celles de leurs filles (elles pensent à elles bien sûr, arrangent leurs mariages pour leur bien, pour qu’elles aient une vie moins difficile que les leurs). Les premières épouses acceptent, contraintes, la concurrence, se consolant comme elles peuvent : "Je me disais ce que disent toutes les femmes trompées : si Modou était du lait, c’est moi qui ai eu toute la crème. Ce qui restait, bah ! de l’eau avec une vague odeur de lait." (p. 78). Lorsque Ramatoulaye se retrouve veuve, elle est, malgré ses cinquante ans, ses nombreuses grossesses qui l’ont déformée, la cible d’attentions masculines dues plutôt à son rang et à l’argent que son mari lui a laissé. Elle refuse toute demande : "Je survivais. Je me débarrassais de ma timidité  pour affronter seule les salles de cinéma ; je m’asseyais à ma place, avec de moins en moins de gêne, au fil des mois. On dévisageait la femme mûre sans compagnon. Je feignais l’indifférence, alors que la colère martelait mes nerfs et que mes larmes retenues embuaient mes yeux. Je mesurais aux regards étonnés, la minceur de la liberté accordée à la femme." (p. 99)

Écrites en 1979 certaines pages sont encore criantes d'actualité en Afrique sûrement (je ne suis point spécialiste de ce continent, mais j'imagine que les femmes ont encore du boulot pour atteindre l'égalité des droits) mais aussi chez nous où les écarts de salaires perdurent, les tâches ménagères ne sont pas équitablement partagées (chez moi non plus, c'est moi qui m'y colle !), etc., etc., je vous la fais courte. Un paragraphe pourrait expliquer le manque d'engagement des femmes en politique (avis que je partage entièrement) : "Je ne veux pas faire de politique, non que le sort de mon pays et surtout le sort de la femme ne m'intéressent. Mais à regarder les tiraillements stériles au sein d'un même parti, à regarder l'appétit de pouvoir des hommes, je préfère m'abstenir." (p. 137)

A méditer. Comme une très grande partie de cette longue lettre. Moi qui ai du mal à écrire une simple carte postale. Un livre à mettre en miroir avec le Madame Bâ d'Erik Orsenna que j'ai lu il y a un petit moment et qui lui est une sorte d'hommage.

D'autres avis sur l'inévitable Babelio et sur Libfly

 

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L
Je viens de lire et de chroniquer ce roman épistolaire, et j'avoue ne pas avoir été convaincue par la forme. Je trouve que les lettres manquent de crédibilité, dans la mesure où Ramatoulaye raconte des événements qui sont arrivés à son amie. Cela dit, je comprends l'intérêt d'étudier ce roman en classe, car le style est fluide et le propos d'une grande concision dans la description de la pression patriarcale au Sénégal en moins de 200 pages !
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Y
Peut-être me suis-je arrêté à ce que tu décris en seconde partie et moins sur la forme.
A
Beaucoup de lettres en littérature, en ce moment.
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Y
<br /> <br /> C'est une genre qui ne se démode probablment pas, et celle ci a été écrite en 1979<br /> <br /> <br /> <br />
Z
je l'ai retenu à la bibliothèque
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Y
<br /> <br /> ça doit être un livre qui sort régulièrement des rayons<br /> <br /> <br /> <br />
K
Un roman qui devrait me plaire... et hop dans la liste !
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Y
<br /> <br /> Bonne lecture<br /> <br /> <br /> <br />
K
Lu il y a un paquet d'années. Tu sais, prendre une "seconde épouse" plus jeune, est-ce si différent que de "répudier, disons, divorcer" son épouse pour en prendre une deux fois plus jeune, et ainsi<br /> avoir des petits enfants et des enfants du même âge, dans nos contrées bien françaises?<br /> Ceci étant, j'ai connu des cas en Afrique où franchement c'est fort mal vécu par la première épouse...J'ignore comment le mari gère tout ça, mais c'est son problème, hein!<br /> Lis Hamate Ba,n tu apprendras qu'il était attaché à son épouse, mais que la famille (agrandie) l'a obligé à en prendre une seconde pour asurrer sa protection ou son statut(en Afrique, à l'époque du<br /> moins, une femme ne devait pas être "seule")<br /> Bon,OK, je dois être hors sujet, là...
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Y
<br /> <br /> C'est exactement la réflexion que je me faisais en lisant l'extrait dans son contexte, à savoir que ce n'était pas très différent (sur le moment) d'une séparation ou d'un divorce. Quant à A.<br /> Hampate Ba, c'est un des mes projets de  lecture depuis longtemps. Merci de me le rappeler<br /> <br /> <br /> <br />
C
Dans ma PAL depuis des lustres...
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Y
<br /> <br /> Je profite de cette fin d'année pour lire des livres que j'avais retenus depuis longtemps<br /> <br /> <br /> <br />
H
C'est marrant, je trouve que ça ne cadre pas avec tes lectures habituelles... Mais c'est un très beau texte au demeurant...
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Y
<br /> <br /> Ah bon ? Tu as peut-être raison, l'Afrique n'est pas le continent littéraire que j'ai le plus exploré, même si j'en ai lus pas mal, mais sans doute pas beaucoup de femmes africaines...<br /> <br /> <br /> <br />