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Un paysage ordinaire

Publié le par Yv

Un paysage ordinaire, Derek Munn, Ed. Christophe Lucquin, 2014....,

Dix-huit nouvelles qui ont en commun de raconter la vie ordinaire, la vie simple de gens simples. Parfois, tout va bien, parfois moins. Derek Munn raconte tout cela, et bien qu'il soit né en Angleterre, il écrit en français. Il vit en France. 

Voici un livre édité chez C. Lucquin qui détonne un peu de ce que j'y ai lu dernièrement. Là où j'étais habitué aux longues et belles phrases travaillées (chez Michaël Uras, par exemple), je me retrouve avec des nouvelles aux phrases très courtes, rapides, efficaces, des dialogues - pas mis en page comme tels- qui ne cèdent pas à une certaine facilité liée à leur usage mais au contraire apportent de la profondeur, notamment dans les sentiments des protagonistes :

"J'ai bien peur que toutes tes questions te fassent éclater.

Et sans questions, toi tu ne parleras pas. Tu souris, mais tes yeux sont tristes. Préfères-tu que je garde le silence ?

Je ne peux pas contrôler ton silence. Toi non plus peut-être.

On se connaît depuis longtemps.

De quoi as-tu peur ?

Tu n'as pas oublié comment utiliser les mots, j'avais peur de ça. J'aurais dû m'en douter.

Tu as été si silencieuse depuis mon arrivée.

Moi ! C'est toi qui as amené le silence.

Peut-être, mais c'est toi qui en as fait une histoire dans ta tête." (p.176/177)

Et j'aime tout autant. Toutes les nouvelles sont bien, certaines m'ont carrément emballé, notamment celle qui donne son nom au livre. Elle est tout simplement magnifique. Avec des phrases et des mots simples, des morceaux de vies simples, Derek Munn fait naître des émotions et des sentiments forts ! Ce qu'il écrit est directement vecteur de ces émotions, mais ce qu'il tait également, l'ellipse joue son rôle à merveille, évoquant images, identification éventuelle et compréhension.

Ce qui est excellent dans ce recueil, c'est aussi que Derek Munn tout en parlant de moments de vie très réalistes sait y mettre beaucoup de poésie, maniant l'art de l'ellipse -les éclaircissements éventuels survenant au cours de la lecture-, celui de l'absurde entre autres dans sa nouvelle intitulée Carnet des antijours flirtant gentiment et agréablement avec des accents de Perec, Vian ou Queneau (et sûrement d'autres que j'oublie...). Ses tranches de vies sont celles où tout peut basculer dans le bon ou le moins bon, où tout vient de basculer. Les nouvelles ne sont pas à chute (sauf de rares exceptions), sont de tailles diverses et se lisent vite, rythmées par l'écriture de Derek Munn qui observe les gens autour de lui, et à ce propos :

"C'est marrant, observer les gens. Souvent ils ont l'air de regarder tout et rien. Tu croises le regard de quelqu'un et neuf fois sur dix tu as l'impression qu'il veut juste te dire qu'il est aveugle. C'est peut-être mieux comme ça. On a sûrement besoin d'être un peu aveugle. Imagine l'horreur si on voyait tout, tout le temps. C'est sans doute pour ça que les gens prennent autant de photos. Ils savent au moins ce qu'ils vont regarder chez eux, ils auront fait un tri." (p.152)

Voilà, c'est ça : Derek Munn est un observateur avisé et précis qui sait décrire ce qu'il voit avec finesse, tact et émotion. Tout en délicatesse.

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A
je ne connais pas du tout cet auteur et franchement ton dernier extrait relevé sur l'observation et l'aveuglement parfois nécessaire, me donne envie de le lire. De plus j'adore les nouvelles.
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Y
<br /> <br /> Et l'éditeur faut un très beau travail...<br /> <br /> <br /> <br />
K
Muuum! Cet éditeur (et toi par la même occasion) a encore frappé! (j'ai lu le Chercher Proust, vite trouvé en librairie)
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Y
<br /> <br /> Pour le moment c'est un éditeur qui ne fait pas de fausses notes, je le consielle très fortement et j'attends ta critique de Chercher Proust avec impatience (j'espère que je ne l'ai pas ratée ?)<br /> <br /> <br /> <br />