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Lambersart-sur-Deuil

Publié le par Yv

Lambersart-sur-Deuil, Michel Bouvier, Ravet-Anceau, 2012

Joseph est un étudiant coincé, extrêmement timide, orphelin dès son plus jeune âge, qui a été élevé par une amie de ses parents, Mme Gorlet. Depuis très longtemps, il passe ses vacances chez sa tante, dans sa propriété de l'Avesnois. Lors de son séjour, il apprend que Mme Gorlet vient d'être retrouvée dans son jardin, nue, assassinée. Attristé, intrigué, Joseph veut en savoir plus sur cette femme que finalement il connaît fort peu.

Amateurs de thrillers sanguinolents, de polars vifs dans lesquels la rapidité vaut plus que la vraisemblance ou l'intrigue, passez votre chemin ! Ou alors, venez, mais au risque d'être surpris. Nous sommes dans un roman policier lent, écrit. L'un de ceux qui peuvent réconcilier le genre avec la littérature proprement dite. D'ailleurs, est-ce vraiment un polar ? Certes, intrigue il y a. Mais j'aurais tendance à mettre ce livre dans la catégorie des romans initiatiques, de ceux qui font passer un héros de l'enfance à l'âge adulte grâce à des épreuves.

Quoiqu'âgé de 25 ans, Joseph est encore, par ses attitudes, ses atermoiements, un grand ado. Il est extrêmement brillant : thésard en sciences, mais emprunté dans ses relations à autrui en général et aux femmes en particulier. Totalement sous le joug de la religion enseignée par sa tutrice, il n'ose pas vivre comme les gens de son époque de peur de s'attirer les foudres de Dieu. Sa religion -celle que lui a transmise Mme Gorlet- est au centre de toutes ses interrogations :  le carcan qu'elle met en place pour qui veut vivre selon ses principes, la culpabilité qu'elle installe dès lors que Joseph veut vivre plus librement ; sans cesse, il y revient, un peu trop parfois, certains passages sont longs et répétés (mais cela est sûrement dû à mon anticléricalisme primaire hérité d'une éducation religieuse dans laquelle j'ai pu ressentir cette culpabilisation, ce carcan)

On est donc dans le roman d'un jeune homme qui se cherche, dans ses émois, ses tourments, ses interrogations concernant les grands sujets de la vie : les origines -pour lui qui est orphelin, c'est d'une importance capitale-, la religion -encore et toujours-, la spiritualité, l'amour, la mort. Un roman du XIXème ou du début du XXième siècle ? Tout pourrait le faire penser, l'écriture, superbe aux longues phrases subordonnées -avec un "dont" magistral !-, l'ambiance qui découle de cette écriture, les hésitations et les questionnements de Joseph qui font plus XIXème que contemporain, la lenteur, ... L'élégance du style, très "vieille France" -prenez-le comme un compliment-, de très bon aloi impose une sorte d'intemporalité voire un anachronisme puisque ce roman est bien situé de nos jours. Dès les premières pages, on entre dans cette belle écriture par des descriptions des personnages, des lieux, des fleurs, des arbres, et même des légumes du potager ! Richesse du vocabulaire, des tournures, emploi fréquent du mode subjonctif -j'arrête ici mes louanges, il m'en faudrait à peine plus pour que je me pâmasse ici, en direct !-, tout cela apporte une "classe" évidente. "Elle portait solennellement les restes au chien, un énorme mâtin qui lui mettait les pattes aux épaules pour lui léchouiller les joues, et dont Joseph avait une peur affreuse, bien qu'il fût toujours enfermé derrière les grilles de son chenil. Joseph craignait tous les animaux, mais plus particulièrement les poules et autres emplumés de basse-cour, qu'heureusement sa tante n'élevait pas ; pourtant, il aimait écouter les oiseaux, les observer parfois, à la condition que ce fût de loin et qu'ils ne bougeassent pas." (p.10)

On sent que Michel Bouvier -professeur de littérature et spécialiste de la littérature française du XVIIème siècle- s'est fait plaisir et nous fait plaisir en écrivant ce roman qualifié de policier, qui me fait quand même plus penser -au risque de passer pour un radoteur et non pas un rat d'auteur (ouais, bof,...- à un roman initiatique au charme désuet plus qu'évident -de l'art de lire des classiques en lisant du moderne- qu'à un polar contemporain.

Un dernier extrait, qui réunit le genre policier à la belle écriture : "L'inspecteur aimait beaucoup la règle ; il l'évoquait chaque fois qu'il pouvait. Joseph fut gêné de ne ressentir aucune émotion quand on ôta le drap du visage de Mme Gorlet. Elle n'avait rien au visage et il vit à peine son cou tuméfié. L'inspecteur l'observait, mais il en fut pour ses frais : s'il s'attendait à le voir pleurnicher, il pourrait repasser. La tante ne manifesta rien non plus. Elle, c'était par cette force d'âme dont, depuis toujours, il l'admirait d'être si bien fournie ; lui, par contre, il ne comprenait pas bien pourquoi il restait souvent froid aux choses dont il craignait pourtant, bien avant de les affronter, qu'elles le bouleversassent, et il avait peur que ce fût par sécheresse de cœur, bien qu'il s'estimât aussi d'être capable de résister à ses sensations immédiates." (p.93/94)

Excellent surprise !

 

région thrillers

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L
Oh voilà qui m'intéresse, d'autant plus que Lambersart, c'est à 15 minutes de chez moi !!!
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Y
<br /> <br /> Tu devrais pour voir et retrouver dans les rues du bouquin alors<br /> <br /> <br /> <br />
G
Tiens aurions nous subi la même éducation. je note car Lambersart, c'était à côté de chez moi !
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Y
<br /> <br /> Je crains que nous soyons nombreux à avoir subi cette éducation, malheureusement.<br /> <br /> <br /> <br />
Z
je le note également. Qui a gagné ce concours ?
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Y
<br /> <br /> C'est un concours lancé par les éditions Ravet-Anceau et le lauréat est Roubaix 70's de Luc Watteau. Si ça te dit...<br /> <br /> <br /> <br />
G
Le personnage lui-même, avec ses doutes et ses préoccupations toutes religieuses, parait un peu suranné à l'heure de FB, MSN et SMS à gogo... Le charme de ce roman pourrait agir sur moi, alors j'en<br /> prends note.
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Y
<br /> <br /> Il n'y a effectivement rien de tout cela (un tout petit peu de portable, mais c'est juste pour situer le texte dans son temps)<br /> <br /> <br /> <br />